Un gosse pas comme les autres, une mère seule et dépassée par les événements, un traumatisme à affronter, un monstre dont on ne sait pas si il est vrai ou si ceux qui le voient sont en train de sombrer dans la folie pure et simple... Les poncifs inhérents au genre ont tout l'air de s’enchaîner à une vitesse à faire fuir les amateurs, las de se voir continuellement servir la même soupe. Évidemment, cela fait peur (bon c'est la principe premier d'un film d'épouvante, me direz-vous), mais peut-être pas dans le bon sens du terme. Pourtant, et devant ce monticule de codes propres au genre qui à la don de faire craindre un film peu personnel, la cinéaste novice Jennifer Kent réussit à accoucher d'un film bien plus original qu'il en a l'air et digère, avec un certain brio il faut l'avouer, les influences qui l'ont contaminé pour faire naître son bébé. Pêle-mêle, on sent le "Shining" du maître Kubrick, la trilogie de l'appartement de Polanski ("Le locataire", "Répulsion", "Rosemary's baby"), en passant par tout un tas de titres du cinéma expressionniste allemand ("Le cabinet du Dr. Caligari" de Robert Wiene, "Nosferatu" de Murnau...), voire Jacques Tourneur ("La féline"). Son esthétique, tout comme l'atmosphère qu'elle crée, fleure bon le vénéneux parfum de ces chefs-d’œuvre de l'angoisse. Consciemment ou non, habilement ou non (comme par exemple lorsqu'elle diffuse, un peu maladroitement comme pour les surligner, ses références à la TV lors de certaines séquences), son premier long-métrage transpire d'un véritable amour pour le genre. Des clairs-obscurs, un jeu avec les ombres, des décors dans des tons effroyablement sombres comme si ils avaient été crayonnés à la pastel, une ambiance aux teintes gothiques, tout ça rappelle le cinéma expressionniste allemand. Un quasi huis-clos dans une maison qui semble elle-même nous étouffer, la paranoïa et la folie qui guette à chaque coin de porte, tout ça rappelle les thèmes polanskiens et kubrickiens. Kent parvient avec un certain savoir-faire à créer du suspense et une matière oppressante même si elle n'invente absolument rien. Et la photographie grisâtre et infiniment sombre de son chef-opérateur est à saluer. Son univers visuel est audacieux, référencé, stylisé, et tente de créer un véritable langage visuel propres aux expressionnistes, où la psychologie et l'émotion des personnages rejaillissent sur les décors. Et puis au fond, "Mister Babadook" n'est pas véritablement un film d'horreur. Si il est traité dans le registre de l'épouvante, on pourrait finalement avoir à faire à un thriller psychologique.
En effet, le Babadook qui vient hanter mère et fils ne semble être qu'une parabole, un prétexte aux démons qui dévorent cette petite famille sur le point d'imploser. Tuer ce monstre imaginaire, c'est affronter les problèmes indicibles qui nous rongent et que l'on refusent de voir, que l'on réprime jusqu'à ce qu'ils en deviennent abominablement gigantesques. En cela, "Mister Babadook" fait preuve d'une véritable originalité dans son traitement de la relation mère/enfant, thème sensible et difficile à aborder. Contrairement à beaucoup d'idées reçus, on aime pas toujours automatiquement ses enfants et ce quoiqu'ils font. On doit aussi apprendre, dans certains cas de figure difficiles, à les aimer, surtout lorsque l'on pense qu'ils sont la cause de nos maux et douleurs. Et par conséquent, il faut affronter le monstre que l'on pense être. Car mettre en doute l'amour maternel fait naître le pire des horreurs. Si il paraît donc souvent n'être qu'un banal film d'horreur de plus, "Mister Babadook" est en fait plus complexe et plus subtile que cela, traitant par le prisme du cinéma d'angoisse un sujet profond et délicat dont un drame aurait très bien pu se saisir.
Vous l'aurez compris, ce thriller horrifique séduit, mais agace par la même occasion. Au moins, il ne laisse pas de insensible et c'est une bonne chose. Si on aime son atmosphère et sa mise en scène, la folie et la noirceur qui s'en dégage, sa façon de prendre à contre-pied les codes du genre, et aussi son jeu d'acteurs (la mère, Essie Davis, est formidable, mais c'est surtout l'enfant tête-à-claques et hyper-attachant joué à merveille par le tout jeune Noah Wiseman, débutant mais déjà plein de promesses, qui remporte tous les suffrages), on peut lui reprocher certaines maladresses. Il y a ce trop-plein de déjà-vus qui en fait partie, même si l'on se rend compte après coup que cela était nécessaire et plutôt finement joué ; mais surtout le fait de ne pas trop savoir comment utiliser le Babadook a bon escient. C'est dans les moments où le monstre apparaît que le film perd beaucoup de sa superbe, et même parfois de sa crédibilité. Car plus l'intrigue s'approche de son dénouement, plus l'on voit à l'écran cet ogre jusqu'ici tapi dans l'ombre, et plus on sent une certaine approximation, un manque de maîtrise et de justesse dans son utilisation, et c'est bien dommage. La scène de l'affrontement final, complètement bancale, voire ratée, en témoigne.
Mais "Mister Babadook" devrait ravir les amateurs du genre, car il parvient à créer plusieurs moments de frissons bien sentis. Surtout, il respire le cinéma, l'amour pour les films d'horreur, et l'on pense à lui encore plusieurs jours après visionnage. Il confirme au passage le renouveau du septième art australien dont on aime voir la nouvelle vague venir s'écraser jusque sur nos côtes, chevauchée par les brillants nouveaux cinéastes d'un continent océanien souvent oublié au cinéma, et révèle une réalisatrice à surveiller durant les prochaines années. Transformera t-elle cet essai ? A suivre...
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