Deux histoires de bonnes à deux jours d'intervalle.... Eh bien, les bonnes se suivent et ne se ressemblent pas. A l'insolente Célestine succède la docile Taki. Autre pays, autre mœurs? Certes, mais Taki, avec son cœur simple, pourrait bien s'inscrire dans une nouvelle de Maupassant....
Yoji Yamada est un très vieux monsieur. Son cinéma est vieillot, sur la forme comme sur le fond. Et pourtant..... là où Célestine sera vite oubliée, on garde au cœur Taki. Ce cinéma classique, tout en silences, tout en non dits a un charme extraordinaire, à la manière d'Ozu; on en sort ému, troublé, profondément touché... Et en même temps, soulignons que c'est un vrai documentaire historique et sociologique sur ce Japon nationaliste et belliciste du siècle écoulé, et sur la vie de tous les jours d'un couple aisé, urbain, qui passe d'un jour à l'autre, d'une heure à l'autre de la tenue occidentale au costume traditionnel. J'ai trouvé cet aspect là également passionnant, car entre les films en costume et ceux qui se passent de nos jours, ou qui se passent à la campagne, il y a toute une période que le cinéma a peu exploré et qu'on connait mal.
On est dans les années trente cinq environ; Taki (Haru Kuroki) arrive de sa lointaine province, au nord -pays pauvre et reculé où la neige est la reine d'un long hiver, où les habitants patoisent avec un accent épouvantable, pour se placer comme bonne à Tokyo. Bonne, ce n'est pas si mal: les jeunes filles apprennent toutes les choses de la conduite d'une maison et, avec un peu de chance, elles peuvent épouser un bourgeois, (surtout si celui ci est veuf et chargé d'enfants comme celui qu'on proposera à Taki...
Taki est placée chez un couple sympathique et moderne; ils se sont fait construire une belle maison avec un énorme toit de tuiles d'un rouge..... voyant. Enfin, moderne.... c'est le Japon d'avant guerre. les hommes se retrouvent pour diner entre eux, parlant de choses importantes, les affaires, la guerre (sino-japonaise en l'occurrence); la femme a juste le droit de venir remplacer la cruche de saké quand elle est vide.... quant à la petite bonne, elle doit être toujours présente et prête à remplir une tâche, et toujours en retrait..... Les liens qui se tissent entre les deux femmes sont forts. Taki admire éperdument Tokiko (Takako Matsu) sa belle maitresse. Et celle ci est très gentille. Ces liens sont encore renforcés par le fait que le petit garçon de la famille est atteint de poliomyélite, et que Taki exécute avec beaucoup de doigté et de dévouement les massages nécessaires pour qu'il retrouve un bon usage de ses jambes.
Un jour, au cours d'un de ces diners entre hommes, Masaki (Takatarô Kataoka) amène un nouveau collègue, qui ne ressemble pas aux autres, Itakura (Hidetaka Yoshioka). Bon, avec son bob, ses petites lunettes rondes d'intello à la John Lennon et ses costumes clairs et lâches, il suffirait de lui mettre une lavallière pour qu'il soit le sosie de Cédric Villani.... Il a fait les Beaux Arts; comme Tokiko il aime la musique classique.... Vous imaginez ce qui peut se passer. D'autant plus que la direction a décidé qu'Itakura, réformé pour cause de myopie, doit se marier pour vite donner à la patrie de petits futurs-soldats japonais, et que Tokiko est choisie pour servir d'entremetteuse.....
Dans l'âme pure de Taki, qui l'imagine aussi, c'est un typhon (comme celui, bien réel, qui nous vaut une séquence très spectaculaire). Elle ne se peut imaginer dans une maison où il se produirait quelque chose d'aussi horrible, d'aussi monstrueux qu'un adultère; en même temps, elle voudrait que Tokiko soit heureuse.... Que peut elle faire, elle, petite bonne, pour qu'il ne se produise rien de mal? Et puis, on se doute que sans même oser se l'avouer, elle est elle même amoureuse d'Itakura....
Et puis, il y aura la guerre, attendue, espérée par des japonais bellicistes et sûrs de leur victoire (le patron de Masaki est particulièrement gratiné....) et le terrible bombardement de Tokyo qui laisse la ville en ruines....
Tout cela est raconté, bien des années plus tard, par Taki devenue une très vieille dame (Chieko Baisho); elle ne s'est jamais mariée. Son petit neveu étudiant la pousse à écrire ses mémoires; il comprend qu'il y a chez Taki quelque chose de secret, un remords qu'elle traîne depuis toutes ces années, qui l'a empêchée de vivre sa vie, et que nous découvrirons à la toute fin du film -deux heures quinze qui passent comme un rêve.
Allez y. C'est film rare, subtil, délicat, comme on n'en fait plus. Un très joli film d'un autre temps. Qui fait du bien. Qui nous lave de tant de vulgarités!