Boyhood, c'est d'abord un dispositif ambitieux : filmer, pendant douze ans, la chronique d'une famille américaine de la middle class. Pourtant, le résultat est d'une grande modestie : Linklater signe une mise en scène très sobre qui rend le film d'autant plus touchant et authentique. Le résultat est bouleversant. En voyant le parcours de Mason, on ne peut que s'interroger sur son propre parcours. Malgré son absence de prétention - et de rebondissements - le film fait le portrait en creux de la nouvelle génération. Etant âgé de 19 ans, je suis heureux qu'enfin, un cinéaste soit parvenu à parler des jeunes d'aujourd'hui sans prétention, ni cliché, ni caricature. Ce sont de petits riens, mais les évocations de facebook, ou la scène de la première bière, sont d'une telle vérité qu'on se demande, par moments, à quel point la réalité parasite la fiction dans Boyhood. Kechiche devrait en prendre de la graine : il est possible de faire jaillir une vérité de l'instant sans tourner de scènes fleuves. Enfin, par sa linéarité - aucun flash-back, aucune ellipse, chaque année occupant à peu près la même durée dans le film - Boyhood restitue une sorte de microcosme du temps qui passe. On en revient à une émotion simple : voir un enfant grandir et se construire. Le passage du temps, dans le film, est à la fois beau et inquiétant. On se rappelle soudain que la fuite du temps est inexorable et que nous sommes mortels. La conception du film est d'ailleurs parasitée par cette idée. Linklater a pensé le scénario année par année au lieu d'avoir une trame préétablie. Autrement dit, s'il s'engageait dans une mauvaise idée de scénario, il ne pouvait plus faire machine arrière. Et si, soudain, arrivé à l'année 2010, il regrettait de ne pas avoir tourné telle scène en 2007, impossible de réparer son erreur car les acteurs avaient changé. Le film est donc hanté par la mécanique du temps. Cela peut expliquer que, parfois, Linklater s'engage dans des sentiers moins convaincants (les personnages de beaux-pères peu crédibles). Mais, dans l'ensemble, on est époustouflé par la cohérence de l'ensemble. Tout se tient, tout est fluide, malgré les aléas que peuvent entraîner un tournage aussi casse-gueule. Pour conclure, un film paradoxal, car plus il essaye d'être simple, plus il touche au génie. Désarmant de la première à la dernière image, Boyhood marque aussi après le visionnage. Un film à la fois universel et générationnel, tendre et inquiétant. Sans doute ma plus belle expérience au cinéma.