Récipiendaire d’un Golden Globe pour meilleur film dramatique, récompensé au BAFTA comme meilleur film, Boyhood, de Richard Linklater, n’aura finalement manqué que l’Oscar suprême. Son concept novateur, soit un tournage échelonné sur douze bonnes années, en aura fait un illustre prétendant à toutes formes de récompenses. Mais Boyhood vaut-il réellement tous les efforts déployés, vaut-il intrinsèquement la portée de son mode de fabrication inédit? Eh bien pas forcément. On admet volontiers l’intérêt d’un tel film, produit atypique mais diablement curieux qui voit le cycle de la vie prendre un réel sens à l'écran. Linklater, habile artisan du cinéma indépendant américain, pousse le passage du temps à son apogée en filmant une famille décomposée, plus spécifiquement le cadet de la famille, d’abord enfant, adolescent puis finalement jeune adulte. L’évolution de ce personnage central, physique, mentale, est sans conteste l’atout majeur de la production. On admet également les très bonnes prestations à la fois d’Ethan Hawke et de Patricia Arquette, cette dernière ayant été récompensée, pour la forme, par un Oscar.
Mais finalement, la force originale du métrage en constitue aussi sa faiblesse. Curieusement, s’il est intéressant de suivre l’évolution du jeune adolescent, il apparaît que les sauts de puces temporels incessants prétéritent la lisibilité de l’œuvre. En vérité, on ne peut décidément tout avoir sans que des grains de sable ne viennent enrayer cette belle mécanique de précision. Bien souvent, au cours des deux heures et trente minutes que dure le film, seules les coiffures des intervenants viennent nous signifier une évolution, un écart dans le temps. Dans un premier temps, cela n’est certes pas gênant, mais cette machinerie devient lassante sur la durée, empêchant résolument le public de réellement s’attacher aux divers protagonistes. Il apparaît également que la première moitié du métrage s’avère sacrément meilleure que la seconde. En effet, le cinéaste orientant durant celle-ci notre regard sur l’enfance, on découvrira la partie du film le plus naturelle et surtout la moins philosophique et futile. En somme, lorsque le jeune Mason était enfant, il était attachant, innocent et amusant. Devenu grand, le gaillard se noie en paroles veines et en grandes réflexions sur le sens de la vie.
On peut donc trancher clairement en faveur d’une entrée en matière excellente puis d’un final douteux. Voilà donc la grande faiblesse de ce concept étrange. Tout ce temps de visionnage pour que l’on nous serve finalement une pseudo-analyse sur la vie de l’homme, sur l’importance du moment présent, sur la nécessité de l’épanouissement. Le postulat aurait sans doute fait mouche si Linklater n’était pas qu’un simple voyeur passif ingénieux mais aussi un metteur en scène actif qui visait une conclusion déroutante. En tout et pour tout, Boyhood n’est rien d’autre qu’une chronique passive d’un morceau de vie parmi des milliards d’autres, sans réelle dramaturgie, sans une once d’humour, sans éclats. Seuls quelques dialogues habilement écrits, seules quelques séquences attendrissantes viennent nous rappeler que Boyhood est aussi un film et pas seulement une expérience.
Très honnêtement, l’heure et demie passée, le film devient légèrement désagréable parce que long à se déployer, dans l’attente d’une vraie évolution qui ne viendra jamais. Accessoirement, ce type de tournage, étalé sur des années, est certes inédit au cinéma, mais le support cousin, la télévision, plus précisément la série, en a pourtant fait son mode de fonctionnement. Au final, Boyhood n’est peut-être pas si révolutionnaire. Le metteur en scène en a pris l’initiative, on l’en salue, mais peut-être pouvait-il se le permettre et d’autre non. Quoiqu'il en soit, si ce type de tournage par séquences annuelles devient légion, nous ne sommes pas prêts d’en découvrir les nouvelles créations. Attendons douze ans pour voir revenir un tel film, dans l’espoir qu’il soit actif et non passif, comme celui-ci. 09/20