Peur primate… Des soldats avancent dans une jungle épaisse avec comme mission de détruire un camp pour un combat a priori fortement déséquilibré, compte tenu de leur armement (très) lourd face a un ennemi équipé de lances et de flèches. Si on rajoute la traque qui suit, dans les dédales d’une grotte ou se cache le reste de la tribu, a flan d’une cascade a travers laquelle scintillent les lumières des pisteurs, il est permis d’y entrevoir des éclairs du chef d’œuvre de Michael Mann, « Le dernier des mohicans »… une grosse impression confirmée par une sublime photographie en décors naturels. Sauf qu’ici les « lumières » sont les lasers nocturnes des snippers, celles de GI venus en découdre avec des singes.
Avec « Suprématie » qui vient conclure une trilogie, préquel au film culte de Franklin J.Schaffner (1968), et Matt Reeves (Cloverfield) déjà aux commandes de l’opus précédent( L’affrontement), l’ombre d’une version uchronique du génocide amérindien plane sur la mécanique de cette histoire de vengeance. Celle de César, ce chimpanzé a l’intelligence supérieurement développée, qui depuis sa jeunesse et la mort de sa mère, un cobaye de laboratoire, voue une détestation profonde à l'homme (« les origines »-2011). Après la propagation d’un virus qui a anéanti une grande partie du genre humain, il dirige une communauté de singes génétiquement très évolués, ce qui l’amènera a mener un bataille contre une armée d’humains (« l'affrontement »- 2014), après avoir été à nouveau trahi par un des siens, Koba. Vainqueur, il vit avec les siens dans la foret, mais l’espèce humaine, même victime d’une terrible pandémie, n’a pas été éradiquée…
On n’est pas obligé d’avoir visionné les deux films précédents pour apprécier le très grand spectacle qu’est « Suprématie », mais cela facilite l’empathie pour césar et les siens, voire nécessaire pour prendre en plein cœur la conclusion…
Si le chef des chimpanzés est sans conteste le fil rouge de la série, il va, porté par un opus crépusculaire, s’affirmer comme le chainon manquant du genre humain en voie d’extinction. Celui qui finira par ensabler la statue de la liberté et fera de Charlton Heston l’acteur d’un des plus puissants twists ending de l’histoire du 7e art. Si nous n’y sommes pas encore, nous n’en avons jamais été aussi près qu’au bout de ces 2 H 20 ou les primates affrontent une partie des derniers hommes dirigé par le colonel, campé par un Woody Harrelson énorme dans la peau de ce militaire torturé suite à un trauma (no spoil !), comme César, et animé par une haine profonde, mais beaucoup plus aveuglante, de l’autre « espèce ».
La découverte du camp avec l’inscription « A good kong, is a dead Kong » est une référence très appuyée à la phrase attribuée (a tort) au Général Custer, tué par les armées indiennes à la célèbre bataille de Little Big Horn. Une preuve de plus que les deux partagent le même destin haineux des autres « races », un point qui vient appuyer la thèse d’un véritable western d’anticipation, après l’intro rappelant (aussi) le massacre historique de la washita river du « Soldat bleu » (1970).
« Suprématie » est avant un divertissement de luxe, un Blockbuster haut de gamme, un produit d’entertainment d’une redoutable efficacité. N’ayons pas peur des formules dithyrambiques : tout est gigantesque, superbement mis en scène, fabuleusement beau et incroyablement immersif, les CGI pour animer les singes s’avérant (encore plus) incroyables. Il serait pourtant extrêmement réducteur (et injustifié) de ramener « Suprématie » a un spectaculaire actionner répondant au cahier des charges d’un « simple » Bigger and louder .
Si on est bien dans un très grand film d’aventures c’est avant tout à un "drame" d’aventure auquel nous avons droit. Celui du destin de la « race » humaine, que l’on connaît depuis le film de Schaffner. A cette tragédie inéluctable se mêle celle des protégés de César, mal en point entre les mains de ce colonel à moitié fou, au look iconique et aux comportements sauvages du… Kurtz ( Marlon Brando) de « Apocalypse Now ».
Une dramaturgie renforcée par l’ajout du personnage de la petite fille humaine, pour des parfums de tragédie antique dans cette quête du pouvoir aux atours sacrificiels.
Matt Reeves n’hésite pas à puiser dans tous les genres, pour un mash-up qui va du post apo version contamination, au war movie, a la fantasy (la traversée du pays et le mur version « seigneur des anneaux »), en passant par la SF primitive (l’assaut des soldats sur le sol neigeux de « L’empire contre-attaque »), jusqu’au western et avec lesquels, et malgré le poids de ses références, il arrive à construire un monument de l’anticipation moderne d’une incroyable singularité.
Si les prouesses techniques, la qualité de la mise en scène, l’ingéniosité du scénario, la photographie exceptionnelle (l’alternance décors naturels et studios est bluffant) sont indéniables, la réussite de cet opus repose surtout sur le jeu du « Gollum » Andy Serkis, qui dans cette nouvelle interprétation hybride, apporte avec son seul regard toute la théâtralité indispensable pour réguler les émotions. Et restituer ainsi avec « Suprématie » toute la puissance de la vision utopique du roman originel de Pierre Boulle, celle ou les hommes se sentaient tellement supérieurs qu’ils en ont oublié qu’ils descendaient du singe. Une bouleversante remise en cause des théories évolutionnistes qui nous obligent, à travers les yeux de césar, à regarder plus haut, histoire de ….
Monumental !