La force de cette trilogie est que d’emblée, on sait comment cela va finir, qui va l’emporter dans cette lutte à mort en apparence déséquilibrée, tout le sel est de savoir comment les choses vont arriver, ce que les films des années 70, et même le remake de Tim Burton (que beaucoup déteste mais qui n’était pas si mauvais que cela) n’ont jamais clairement expliqué. Il y avait donc matière à imaginer comment les singes allaient avoir définitivement le dessus sur la race humaine, c’est le sujet même de ce troisième et dernier volet. L’autre qualité de cette trilogie, qui en a beaucoup, c’est que par rapport au célèbre film avec Charlton Heston, l’empathie change de camp. Dans l’œuvre originale, c’est l’humain le héros, le faible, celui que l’on espère voir vaincre, ici, c’est juste l’inverse. Techniquement, le film est sans reproche. Les singes, grâce au numérique et à ce qu’on appelle le « motion capture » désormais parfaitement maîtrisé, sont merveilleusement bien rendus, toute la palette des émotions sont possibles, puisque il n’est plus question de maquillage ou de masques pour dissimuler les traits. Le film du réalisateur Matt Reeves (déjà aux manettes de l’épisode précédent) bénéficie également de décors magnifiques, que ce soient des décors naturels en foret, dans les Rocheuses ou de décors artificiels, avec une mention spéciale à la station de sport d’hiver envahie par la glace. La musique de Michael Giacchino (un des mes compositeur favoris) est bien à propos, pas envahissante, peut-être souligne-t-elle un peu trop certains effets parfois mais c’est un défaut difficile à éviter dans les blockbusters de toujours. Parce qu’il n’y a pas de doute, même si le scénario est inventif et sans manichéisme échevevelé, on est bien dans un blockbuster avec ses scènes d’actions au millimètre, des scènes de combats militaires, ses courses poursuites à cheval comme dans les westerns, avec un point d’orgue une scène assez courte mais diablement réussie
d’avalanche colossale. C’est paradoxalement la Nature avec un N majuscule qui décidera in-fine du vainqueur de cet affrontement à mort, sans son intervention finale, qui sait comment les choses auraient pu tourner pour les humains et pour les singes ?
C’est une autre des qualités du film, son scénario est plus subtil et pointu que dans un blockbuster standard. C’était déjà à l’œuvre dans les deux opus précédents, il n’y a pas de manichéisme totale dans cette histoire :
il y a des singes qui trahissent et se rangent aux côtés des humains, il y a des humains qui combattent d’autres humains, il y a des singes belliqueux et des singes pacifistes.
Evidemment il y a un héros sans reproche, César et un militaire humain détestable mais au-delà de cet affrontement entre héros et antihéros, il y a de la subtilité dans le traitement de ce préquel. On peut y voir aussi, de façon assez claire, une violente critique de cette Amérique si prompte à rétablir l’esclavage, cette fois-ci envers les singes prisonniers, comme si elle portait ça dans ses gènes. Enfin, je tempère un peu car le groupe de militaire qui pratique l’esclavage, ce n’est pas l’armée régulière mais un groupe de soldats dissidents, menés par un béret vert à l’attitude christique et mégalomane, qui a même (outrage suprême) détourné la bannière étoilée. Il y a donc critique d’une Amérique mais une Amérique dissidente et dévoyée, il ne faut pas exagérer quand même. Le scénario n’est évidemment pas exempt de défauts, il se réduit à un affrontement entre deux petits groupes sans évoquer jamais les autres groupe de singes ni les autres groupes d’humains, comme si le devenir d’une planète entière se jouait sur ce seul affrontement. C’est un défaut récurent dans les blockbusters, de ne jamais élargir le champ. Et puis la scène finale est un peu trop mélodramatique, et un peu trop téléphonée même si elle a la bonne idée de ne pas tirer en longueur. D’ailleurs en terme de longueur le film dure presque 2h20, ce qui flirte avec le « trop long » à mon gout, même si ici il n’est pas question de longueurs ni de temps morts. Et puis je m’interroge aussi sur l’intérêt de quelques personnages qui ne semblent être là que pour faire « consensuel » comme la petite sourde muette ou le singe de zoo, comme si il fallait absolument un humain sur lequel s’apitoyer et un singe marrant et maladroit, pour apporter un touche d’humour à un film qui, c’est vrai, en manque un peu. Je n’ai pas encore parlé du casting parce que, sur ce film, les performances d’acteurs sont difficiles à qualifier. On pourrait parler de Woody Harrelson en Colonel mégalo et un poil caricatural (le moins bien écrit de tous les personnages) mais ce sont les acteurs incarnant les singes qui ont évidemment la partition la plus difficile et au milieu d’eux : Andy Serkis. Lui qui a été l’inoubliable Gollum dans « Le Seigneur des Anneaux » et le King Kong de Peter Jackson (un singe, déjà) campe un César merveilleux, expressif et pétri d’une humanité qui manque aux humains de ce dernier volet. Je ne sais pas si on peu être nommé aux Oscars pour un rôle en motion capture mais si ce n’est pas le cas, c’est dommage car Serkis est un énorme acteur. Pour faire passer autant de chose avec cette technique, il ne suffit pas d’être un bon acteur, il faut être un énorme acteur ! Je regrette un petit peu, pour finir, que la fin de cette trilogie ne fasse pas plus le lien avec l’œuvre originale (il y a juste le fils de César qui se prénomme Cornélius et il aura un rôle primordial lorsque Charlton Heston débarquera !) et surtout que Pierre Boulle ne soit pas crédité au générique, ce qui est quand même fort dommage.