Les décors sont splendides, les singes incroyablement animés, et c'est à peu près tout ce que je trouve intéressant dans le film.
Bien plus manichéen que ses prédécesseurs, celui-ci va pousser la logique du " singe plus humain que l'horrible humain" au delà des limites du grotesque. Tout ce qui se rattache aux hommes dans ce film va ainsi se voir accolé aux symboles et thèmes viscéralement négatifs qui hantent notre société traumatisée par le XXe siècle : l'embrigadement militariste, la volonté de purification totale, le système concentrationnaire, et tant d'autres. Tout sera donc caricatural à souhait, pas un seul personnage humain NORMAL (pas infecté, muet et bébête comme la fillette) pour échapper à ce schéma, se poser des questions ou dialoguer avec les singes : tous irrécupérables.
A la limite, ça ne m'aurait pas dérangé si le film avait réservé un traitement au moins nuancé aux singes, s'il ne les avait pas traités comme des petits parangons de vertu et de pureté, d'éternelles victimes qui n'agissent jamais que par légitime défense. Déjà Koba dans les précédents n'était mauvais que par réaction aux sévices infligés par les hommes, mais ici le mythe du bon sauvage ne souffrira aucune limite : les singes ne sont soumis ni aux vices de la bestialité ni à ceux de la civilisation (l'esprit de vengeance notamment, auquel César est vraiment trop sage et digne pour se soumettre comme un vulgaire bonhomme), mais combineront aux contraires les vertus des deux extrêmes (ingénuité, hautes vertus morales universalistes, etc.). C'est d'autant plus hypocrite que, pour nous faire nous attacher aux singes, le film leur réserve un traitement très anthropomorphique (déjà le faciès de César pas 100% simiesque, le fait qu'ils se donnent l'accolade, s'embrassent, comme des hommes et pas comme des singes, etc.). Finalement donc, s'il existe quelques "mauvais" singes dans le film, c'est seulement parce qu'ils acceptent la vision du monde humaine, le mal ne vient jamais purement d'eux.
D'ailleurs, l'entière "trilogie des origines" de la planète des singes a réussi l'EXPLOIT de ne proposer AUCUNE REFLEXION sur le basculement décisif de cette histoire. On ne verra pas les singes finalement prendre le pouvoir, on ne saura décidément pas comment nos petits anges poilus deviendront eux-mêmes despotiques et arrogants, comment ils finiront par traiter les humains aussi mal que ceux-ci les avaient auparavant traités (esclaves, bêtes de somme, cf le film originel). Non, on évite le retournement de la dialectique maître/esclave (qui aurait pu être intéressant) et on arrête tout quand l'homme est encore le salaud de l'histoire. Bref, on restera jusqu'au bout dans l'écolo-misanthropie et le culte du macaque.
Dans ce registre, le film est un hold-up compassionnel constant, "sublimé" par des séquences-émotion nombreuses et poussives, où le piano se donnera du mal pour nous faire chouiner. Le summum restera sans doute
le fait que la fillette ne ressent visiblement rien quand son protecteur humain (père ?) qui l'a apparemment protégée et nourrie (en tout cas ne la séquestrait pas) est abattu par César et ses potes (ils sont quand même gentils, ils vont pas rendre une fillette triste) alors que lorsque le fringant gorille qu'elle connaît depuis GRAND MAX UNE SEMAINE meurt, elle s'effondre en grasses chialeries. Cette scène est d'autant plus ridicule que l'échange de fleur, supposé la rapprocher du gorille, a eu lieu précisément la scène d'avant, rendant le tout ultra téléphoné et artificiel.
En outre, mention spéciale à l'anti-christianisme vicieux du métrage, puisque le détestable colonel (qui gère un camp de concentration et de travail rappelons-le) est apparemment très chrétien (moultes croix au cou et au mur, signes de croix face à ses troupes lobotomisées) bien que l'on ne sache nullement quelle place occupe le christianisme dans sa tête et sa démarche génocidaire (à part la mention facile de la « guerre sainte »). On appréciera particulièrement l'ironie du fait que, historiquement, les chrétiens ont été parmi les premières victimes des système concentrationnaires (encore aujourd'hui en Chine et en Corée du Nord par exemple), lesquels ont pour l'essentiel été mis en place par des régimes très anti-religieux (au moins les régimes communistes, le nazisme aussi dans une certaine mesure, en tout cas sa logique d'extermination n'avait rien d'une « guerre sainte » chrétienne). D'ailleurs ces régimes étaient résolument tournés vers l'avenir, vers « l'homme nouveau » et la « société nouvelle », pas le passé (« l'histoire » étant l'obsession du colonel, apparemment malsaine selon le film). L'inversion accusatoire a visiblement encore de beaux jours devant elle.
Enfin et pour le fun, le film pêche par des incohérences et des facilités majeures, qui rendent sa prise au sérieux parfois difficile, et risquent de lui réserver un statut proprement nanardesque dans le futur :
-certains singes parlent par signes, ok, pourrait-on savoir comment César comprend ces signes le dos tourné ou les yeux collés aux jumelles ? C'est fort.
-la fillette rentre dans le camp humain SOUS LE NEZ DES GARDES postés sur les passerelles, traverse tranquillement le périmètre alors que des soldats mangent à une dizaine de mètres d'elle, et fait ses petites affaires sans être dérangée
-les singes s'évaderont également avec une facilité surréaliste, un garde isolé s'aventure dans leur enclos pour se faire bolosser (il fallait qu'il soit à cet endroit précis et pas un autre pour tomber dans le trou hein), puis des centaines de macaques transforment le camp en gigantesque parc d'acrobranche sans que personne ne les remarque
-le camp en lui-même n'a aucun sens, aucun groupe armé ne s'installerait AU PIED d'une montagne, à la merci des avalanches (LOL) ou des glissements de terrain déjà, mais surtout à la merci d'adversaires qui n'auraient qu'à prendre position sur les versants pour les canarder tranquillement depuis les hauteurs (l'assaut frontal depuis la plaine étant ainsi ridicule)
-cela fait très longtemps que le "mur" en tant que fortification ne sert plus à rien face aux armements modernes, inutile d'en construire un (j'ai bien compris la grasse référence à Trump, dommage qu'elle contribue à décrédibiliser encore plus le récit)
-enfin, le colonel cherchait César pour le tuer, pis voilà qu'il décide de laisser ce leader dangereux en vie, bon on peut comprendre le principe de briser/humilier le chef ennemi pour mater son peuple, mais ça pourrait se comprendre si ledit peuple était destiné à RESTER en esclavage, vu que le colonel compte les tuer par la suite et n'en a rien à foutre, ça n'a guère de sens (d'autant plus qu'il est apparemment du genre précautionneux, ayant tué son fils unique par peur de la contagion, alors laisser César en vie malgré le danger qu'il représente...)
En somme, ce film me paraît bien simpliste, malgré sa prétention à nous délivrer un message d'une profondeur insondable.