ce premier long métrage nous raconte pas mal de choses sur le secteur agricole, que ce soit le rapport à la fois magique et délicat avec les animaux, mais également les difficiles démarches administratives que doivent faire les jeunes agriculteurs pour s'installer (avec notamment cette DJA, une subvention aidant au financement de la reprise d'une exploitation agricole, mais particulièrement difficile à obtenir), sans oublier, plus généralement, les évolutions d'un monde agricole qui ne laisse plus aucune place à la liberté et à l'improvisation de l'éleveur; le moindre détail de sa démarche d'exploitation étant strictement réglementé, et cela, le film, aux vertus pédagogiques évidentes, nous le montre assez précisemment.
Cette évolution entre le secteur agricole d'aujourd'hui et celui de demain est au centre même du récit, puisqu'on y suit le quotidien de Maguie Audier, qui est, comme le titre du film, l'indique littérallement- la propre mère de la cinéaste, ancienne citadine devenue, depuis mai 68, éleveuse de chèvres pendant plus de 40 ans, dans le hameau de Saint-Maymes (commune de Trégance, Var), dans les gorges du Verdon.
Ce plateau isolé et cette retraite quasi monacale ont permis à la fromagère de faire perdurer une tradition d'élevage sur le point de disparaître. Le film commence de ce fait, au moment où l'agricultrice décide d' assurer la transition avec une jeune agricultrice fraichement diplomée, qui vient récupérer le troupeau et la bergerie juste avant que Maguide décide de prendre sa- modique pécuniairement parlant- retraite.
Les "chèvres de ma mère "est donc, avant même d'être un document passionnant qui nous apprend plein de choses avec pédagogie et subtilité sur le monde agricole, un beau film sur la transmission.
Car, même si Maguie dit à un moment du film récuser le terme car, pour elle, "l'uniformisation de la société actuelle ne prend pas assez en compte le bien être de l'animal", il est bien question de transmission dans ce film: un passage de flambeaux entre l' "ancienne" et la jeune professionnelle qui passe non seulement par les mots, mais aussi et surtout par les gestes et les silences entre Maguie, qui éprouve visiblement énormément de peine à l'idée de perdre son bien le plus précieux, et cette jeune professionnelle qui tente de le récupérer avec des méthodes (basées sur des enseignements plus traditionnels, plus scolaires) et des personnalités forcément différentes.
Pour se faire le témoin de ce relais, la caméra de Sophie Audier sait se montrer à la fois discrète et bien présente, sans jamais chercher à prendre parti ou à juger l'un ou l'autre des deux protagonistes de ce film qui est aussi, incontestablement, et selon ses propres intentions dévoilées dans le dossier de presse, sinon un hommage à sa mère, et en tout cas une façon pour la réalisatrice de se soulager du poids de la culpabilité de ne pas avoir repris le flambeau familial.
Bref, voilà là un bien beau film, qui, quelques semaines après La cour de Babel et Dancing In Jaffa, confirme l'excellente qualité des documentaires sur grand écran de ce premier semestre de 2014.