Etre homosexuel au Maroc, c’est être condamné à vivre caché. Voilà un des premiers messages que délivre L’armée du salut, film autobiographique qui se penche sur la vie du jeune Abdellah dans un quartier populaire de Casablanca, en plein milieu de l’été. Comme toutes les idées que suggère le film, celle-ci est évolutive. Progressivement, il nous fait découvrir une société marocaine plus homosexuelle qu’elle ne le croit, parsemée de relations cachées.
Mais surtout, et c’est là l’idée centrale du film, ces rapports, à l’image de l’ensemble des intéractions humaines détricotées par le scénario, ne sont que rapports de force, d’aliénation et de domination. Second fils d’une famille nombreuse, Abdellah assiste à la violence de son père envers sa mère. Un père lui-même enfermé dans une vie de bagnard qui ne lui laisse d’autre choix que le suicide, comme le suggère le réalisateur lorsqu’il le place au centre d’une cour parsemée de fleurs, et avec, derrière son cou, une chaine placée là comme pour enserrer sa gorge.
Dans une société de forte détermination par le genre, Abdellah est à la fois écrasé par la force du groupe constitué par les femmes et totalement exclu du processus de favoritisme envers les garçons, dont seul son grand frère Slimane profite. Cette injustice organisée par ses deux parents se traduit aussi dans le comportement de Slimane, qui n’hésitera pas à abandonner ses deux petits frères dans une ville inconnue dès qu’il en aura besoin.
Au-delà du noyau familial, l’aliénation persiste. Abdellah se lance dans des relations sexuelles avec des hommes souvent plus âgés. Sur le niveau de consentement réel du jeune garçon, nous n’aurons pas la réponse.
Enfin, la seconde partie du film, qui a lieu après une ellipse de dix ans, illustre l’aliénation du jeune homme par la domination occidentale. La prostitution sert de catalyseur ici, afin d’introduction une vision plus profonde, teintée de globalité, de la domination exercée par les sociétés occidentales.
L’autre idée forte de film réside dans l’étroitesse du lien entre pauvreté et ennui. Mais si la démonstration est foudroyante, elle n’en demeure pas moins pénible pour le spectateur : filmer l’ennui est un défi ambitieux. Ici, cette sensation se traduit par des plans fixes interminables, et par une palette de couleurs relativement morne, du jaune délavé au début du film, à des teintes beaucoup plus grises vers le dénouement.
Mais surtout, le film pêche par une direction d’acteurs déplorable du début à la fin. Les dialogues de plus de deux phrases sonnent faux, les scènes de groupe semblent forcées, et les rôles les plus vraisemblables (le père d’Abdellah par exemple) sont quasiment muets.
L’armée du salut est donc un film ambivalent, que l’on admirera pour ses intentions, sa structure narrative et quelques belles idées de mise en scène, mais qui pèche par des qualités cinématographiques beaucoup trop timides.