Pour ce film belge, tourné aux alentours de Liège, le réa David Lambert a pris des risques... Une audace touchante, par sa sincérité et sa franchise. L'affiche officielle se garde bien de suggérer la dimension érotique assez audacieuse de l'oeuvre. Ni discrète ni provocante, outre quelques phallus montrés sans fard, elle tisse pourtant une trame de fond, dans un parti-pris réaliste, qui va jouer avec le surréalisme et le comique de l'absurde. Pour le casting, rien à redire (en réponse à une critique parue dans le Monde, vraiment à côté de la plaque). Avec Monia Chokri, inattendue dans ce film (et méconnaissable au demeurant dans un tel personnage), ici époustouflante, le résultat frise le sans-faute. Autre lien avec Xavier Dolan, la chef monteuse, Hélène Girard, avait travaillé sur J'AI TUÉ MA MÈRE; elle prouve ici tout son talent. La bande originale, assez atypique par son style rétro-décalé, se fond dans une histoire à l'allure marginale. Débutant sur des scénettes pour le moins crues, le film prend crescendo de la consistance jusqu'à transmettre une expérience profonde, presque bouleversante. Avec des moyens pourtant limités et des choix de mise en scène relativement classiques, le travail du réalisateur et de son équipe, dont une partie l'a suivi depuis le précédent, HORS LES MURS, assure au final une parfaite réussite. Malgré quelques ellipses, le scénario révèle sa force à travers un traitement très cinématographique et personnel, séduisant sans être confortable, soutenu par un jeu d'acteurs sublime (impossible de rester de marbre), sans affectation, parcouru de scènes troublantes et étrangement chaplinesques. Quelques ellipses, qui peuvent déconcerter, soutiennent la magie des attractions; par exemple, les conditions qui ont permis la rencontre entre Henri et Lukas, le boulanger belge et son apprenti de Buenos Aires, se trouvent éludées; et pourtant, ce choix s'aligne en cohérence avec certains sursauts. Cela laisse libre cours à l'imagination du spectateur.
Enfin, alors que tout aurait pu partir à vau-l'eau, la fin nous offre un swing plutôt optimiste qui évite à l'histoire de sombrer dans une facilité dramatique.
JE SUIS À TOI raconte surtout, de manière élégante et sensée, une histoire d'amour dans laquelle les solitudes et les frustrations se mêlent, le tout dans un style tout à fait populaire mais parcouru de symboles. Ce film évite en effet tout esprit bobo, tout verbiage psychologisant, de même qu'il refuse le dolorisme appuyé ou l'esthétisation factice. Accolée de l'énaurme Jean-Michel Balthazar (à noter.. plusieurs scènes alternatives se retrouveront dans le DVD:), l'histoire virevolte entre drôlerie et gravité, légèreté et lourdes épreuves. Au centre, l'argentin Nahuel Perez-Biscayart crève l'écran. Sur un scénario qui paie pas de mine, JE SUIS À TOI mérite bien l'appellation chef-d'oeuvre.