« Ce prochain film doit être une épopée ! La plus grande ! ». Par ses propos tenus après la sortie de sa dernière réalisation, L’Opinion publique (1923), Charlie Chaplin annonce son ambition pour son deuxième film de l’ère United Artists.
Contrarié par l’échec de L’Opinion publique, par un public qui l’a jugé trop sérieux et a regretté l’absence du cinéaste dans la distribution, Chaplin décide de revenir à son genre de prédilection, la comédie burlesque, après avoir été inspiré par une photographie de la ruée vers l’or du Klondike (1898) et du récit de l’expédition Donner (1846-1847).
En février 1924, le tournage de La ruée vers l’or débute dans la Sierra Nevada. Avec plus de 600 figurants et la construction conséquente du village des prospecteurs, le budget de production frôle le million de dollars et démontre toute l’ambition et le perfectionnement acquis par Chaplin. Le tournage connaît plusieurs problèmes techniques et doit être terminé en studio, pour se terminer après 15 mois de labeurs, en mai 1925.
Dans cette nouvelle production, Charlot fait son grand retour après sa dernière apparition dans le Kid, 4 ans plus tôt. Cette fois, le vagabond solitaire part dans l’Alaska et participe à la ruée vers l’or du Klondike en 1896/7. Fort de son expérience avec le Kid, Charlie Chaplin renouvelle sa maîtrise dans l’art de mélanger les genres, en offrant un bijou à la fois comique et tragique, un long-métrage poétique et mélancolique mais qui respire aussi l’amour et l’espoir.
Une première partie du film déroule plusieurs ressorts comiques dans une petite cabane perdue dans la neige et battue par les vents. Dans cet espace clos et restreint, Charlot excelle dans une multitude de gags burlesques qui a fait son succès et qui le confirme encore. Mais parce que le comique exclusif ne suffit plus à Charlie Chaplin, cette partie recèle également une critique sociale caractéristique de l’œuvre du cinéaste et compréhensible au regard de ses origines. A travers la célèbre scène de la dégustation de la chaussure, c’est aussi la dénonciation de la misère et de la faim, que Chaplin a bien connu. Perfectionniste, il n’a pas hésité à réaliser une soixantaine de prises pour obtenir le meilleur résultat possible, au grand dam de l’intestin de Mark Swain, contraint d’avaler autant de réglisse que son personnage n’ingurgite de cuir de chaussure. Ce rapport à la faim, qui est aussi probablement influencé par l’histoire tragique de l’expédition Donner, est essentiel dans La ruée vers l’or, comme le montre l’autre scène la plus connue du film : « la danse des petits pains ».
Dans une deuxième partie, Charlot retourne à la civilisation et tombe sous le charme d’une danseuse de saloon à la fois charmeuse et sulfureuse : Georgia. Au sujet de ce personnage, il est intéressant de mentionner une anecdote. Alors que Charlie Chaplin avait commencé avec Lita Gray (contraint de l’épouser pendant le tournage car elle était enceinte), il recommença les prises avec Georgia Hale. Ce choix de la dernière minute mérite tout de même d’être salué, la jeune actrice offrant une prestation qui reflète tout le charme et l’élégance de son personnage raffiné.
Quoiqu’il en soit, bien que Georgia soit initialement inaccessible, le mendiant déploie une énergie colossale pour conquérir le cœur de sa belle et finit par y parvenir au terme d’un épilogue émouvant où le couple se retrouve dans un contexte diamétralement différent. Devenu multimillionnaire, Charlot obtient définitivement les faveurs de Georgia dans un magnifique baiser. Cette conclusion sur la touche du bonheur et de l’espoir préfigure déjà celle des Temps Modernes, 11 ans plus tard.
A sa sortie au cours de l’été 1925, La ruée vers l’or est un triomphe. Avec 5 millions de dollars de recettes, il devient l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma muet, un honneur qui vient confirmer l’avis du cinéaste selon lequel ce film est le meilleur qu’il ait réalisé jusque-là.
En 1942, Charlie Chaplin offre une nouvelle version de son chef d’œuvre, qu’il sonorise partiellement en supprimant les intertitres pour les commenter lui-même et en composant une nouvelle musique, nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film en 1943. Certaines scènes sont modifiées, dont l’épilogue, où Charlot n’embrasse pas Georgia mais quitte le champ avec sa bien-aimée, main dans la main. Une conclusion plus pudique mais qui enlève le charme de la version originale, dont la poésie, en grande partie due au muet, est inaltérable encore plusieurs décennies plus tard. En 1958, un jury de l’exposition universelle de Bruxelles consacre La ruée vers l’or comme étant le deuxième meilleur film de tous les temps, derrière Le cuirassé Potemkine. En 1992, le film intègre la collection prestigieuse et historique du National Film Registry.
A la fin de sa vie, Charlie Chaplin déclare qu’il espère qu’on se souvienne de lui pour ce film. Vœu exaucé.