L'un des films les plus célèbres du monde, résultat d'un an et demi de travail (on est loin des courts métrages de 1915), énorme succès financier, « La Ruée vers l'or » est assurément un chef-d'oeuvre, même si l'on peut regretter les violons et le ton emphatique du commentaire de la version sonorisée. Tout le monde a en mémoire les principaux gags du film, qui fourmille d'effets comiques. Les uns relèvent du mime et perpétue l'image du Charlot vagabond, en particulier dans les scènes du saloon, où ils disent sa maladresse face à son rival; mais le mime prend une dimension exceptionnelle quand il se transforme aux yeux d'un Big Jim rendu fou par la faim en poulet appétissant. D'autres renvoient à de précédentes réussites, ainsi le tangage de la cabane en équilibre sur le rocher, d'un comique aussi efficace que le repas de l' « Emigrant » sur le bateau. Et puis, il y a des inventions fabuleuses: Charlot dégustant comme un vrai plat une semelle, des lacets enroulés comme des spaghettis et les clous qu'il termine comme des os de poulet (la figure de style de la syllepse n'a jamais été aussi bien orchestrée); la danse des petits pains, moment de pure poésie dans ce réveillon rêvé, qu'il anime avec une virtuosité absolue au bout de deux fourchettes. Mais, si drôle que soit le film, le terme de comédie ne lui convient pas vraiment toutes les oeuvres de Chaplin portent désormais un tout autre message. Bien des scènes reposent essentiellement sur l'émotion, par l'expression de sentiments fort éloignés du comique, et si une pichenette du « hasard » ne venait tout changer, les conflits s'achèveraient dramatiquement, qu'il s'agisse des luttes pour la vie en situation extrême (misère, famine, recherche de l'or) ou de la relation amoureuse, définitivement au centre de l'oeuvre. Il n'est qu'à voir la mise en scène du personnage, longuement changé en statue quand il découvre son inexistence aux yeux de Georgia, et même le choix des cadrages, si souvent en plan très rapproché sur le visage et le regard, poignant, de celui qui n'est plus Charlot, mais un simple homme en proie aux sentiments universels. Derrière le rire, il y a la gravité, comme il y aura toujours, même si c'est pour une photo, le vagabond derrière le milliardaire.