Après le coup d’éclat "Le Kid" et le four "L’opinion publique" (où il n’apparaissait pas), Charlie Chaplin a joué la sécurité en s’attachant, à nouveau, les services de son personnage fétiche Charlot… et a vu grand pour sa nouvelle aventure cinématographique. On se retrouve, donc, à la fin du 19e siècle dans l’Amérique des pionniers et autres chercheurs d’or, soit un dépaysement assuré qui assure le spectacle à lui tout seul. Chaplin se montre, du reste, particulièrement ambitieux sur le plan de sa mise en scène, tant sur le plan des décors que des figurants (voir la file de chercheurs d’or, très impressionnante à une époque où il n’y a pas d’image de synthèse pour créer une foule artificielle) et, plus étonnant, sur le plan des effets spéciaux qui, certes, font sourire aujourd’hui, mais qui s’avère épatant pour l’époque (ah la maison au bord de la falaise). Pour autant, j’ai trouvé "La ruée vers l’or" moins réussi que "Le Kid". La faute principale en incombe, sans doute, au fait que je n’ai pas vu la version muette mais la version commentée par Chaplin lui-même (sortie en 1942). Cette version, pourtant plus courte (et, donc, en principe, plus efficace), ressemble à un film hybride, puisqu’il n’est pas vraiment muet (la voix de Chaplin n’a de cesse de résonner) mais pas, non plus, vraiment parlant (on reste sur une logique de pantomime). J’attends, donc, de découvrir la version muette pour éventuellement revoir mon jugement final. Car, il ne s’agit pas forcément du seul défaut du film qui m’a paru plus poussif que "Le Kid". Les gags (certes très drôles) sont, ainsi, souvent exploités et surexploités au-delà du raisonnable, avec une légère carence au niveau du renouvellement.
A titre d’exemple, on pourra citer les problèmes rencontrés par les personnages dans la cabane enneigée, que ce soit en raison de la tempête au de son déplacement au bord d’une falaise
. Il semblerait que ce décor ait coûté cher et qu’il ait fallu à tout prix le rentabiliser... quitte à multiplier les scènes s’y déroulant. Ce manque de renouvellement du cadre est, néanmoins, le seul véritable défaut majeur du film qui, pour le reste, peut compter sur l’incontestable génie de Chaplin. On retrouve, ainsi, la précision du geste et le rythme comique quoi ont fait son succès, ainsi que des fulgurances qui ont su marquer durablement les esprits. Comment oublier la fantastique scène de la danse des petits pains ? On retrouve, également, la richesse du personnage de Charlot et sa merveilleuse candeur teintée d’un romantisme contrarié. On retrouve, enfin, le goût de Chaplin pour les histoires "qui ont du fond" puisque le film traite d’un sujet tout de même dur, à savoir le quotidien peu enviable de ces chercheurs d’or, vivant dans des conditions terrifiantes dans l’espoir de faire fortune. Chaplin parvient, même près d’un siècle plus tard, à faire ressentir la dureté de cette vie au spectateur sans, pour autant, sombrer dans l’austérité, bien au contraire… ce qui n’est pas un mince exploit et en dit long sur la qualité de sa mise en scène. Le réalisateur confirme qu’il est, aujourd’hui encore, l’un des réalisateurs qui a su le mieux parler de chose dur avec le sourire ! Que dire d’autre sur "La ruée vers l’or" si ce n’est que, contrairement au "Kid", Chaplin s’est assuré de ne pas se faire voler la vedette par qui que ce soit et que, de ce fait, il éclipse un peu ses partenaires, que ce soit Georgia Hale en fille de saloon, Mack Swain en affable chercheur d’or ou encore Tom Murray en criminel recherché. Peut-on vraiment lui reprocher au vu de la nouvelle extraordinaire prestation qu’il nous réserve, de sa mise en scène travaillée et de sa formidable BO ? Je ne le pense pas…