Kubrick avait déclaré que s'il avait su que la censure lui poserait autant de problèmes, il n'aurait pas réalisé « Lolita ». On ne peut qu'être étonné par la naïveté d'un cinéaste pourtant si visionnaire : le livre de Nabokov était et sera toujours impossible à adapter intégralement au cinéma, et vieillir Lolita d'un an et demi n'y change évidemment rien.
En soi, le film n'est pas mauvais, loin de là, mais il apparaît bien trop sage par rapport au livre : le passé de Humbert, sulfureux et sordide, demeure totalement inconnu et seule la première apparition de Lolita est érotisée, Kubrick ayant par la suite recours à de multiples fondus au noir jetant un voile pudique sur cette oeuvre si immorale. Que reste t-il alors du roman qui demeure brillant dans le film ? En réalité pas grand chose, hormis le personnage de Charlotte, aussi désespérée et irritante que l'on pouvait se la représenter en lisant le livre : l'interprétation de Shelley Winters est excellente. A l'inverse, Humbert, incarné par un James Mason visiblement embarrassé, ne conserve en rien son cynisme initial et ne semble jamais aussi névrosé que dans le roman. Les meilleurs éléments du film sont finalement ceux qui ne se retrouvent pas dans l'oeuvre de Nabokov, notamment l'importance donnée à Quilty, qui permet à Peter Sellers de faire son (excellent) numéro habituel et d'annoncer le chef d'oeuvre « Docteur Strangelove ».
Le film souffre de l'impossibilité de Kubrick d'être fidèle au matériau de départ : incapable de figurer l'amour de Humbert pour Lolita en la présence de cette dernière, il en est réduit à la figurer grossièrement lorsque Humbert regarde une photo de Lolita en embrassant Charlotte. Entre ces obstacles incontournables et la volonté de Kubrick de proposer une version personnelle de « Lolita », le film ne trouve jamais son ton, hésitant entre drame familial et comédie de moeurs, mélo pathétique (les retrouvailles Humbert/Lolita, assez maladroites) et digression comique (la scène du Dr. Zempf, évidemment, mais aussi l'improbable scène burlesque de l'installaton du lit pliant). « Lolita », avec son sujet si osé, est paradoxalement le plus consensuel et le plus académique des films de Kubrick, probablement aussi son moins bon.