"Lolita" est une jeune adolescente, incarnant la jeunesse, la fraîcheur, la beauté ou encore l'insouciance, et qui trouvera grâce dans les yeux d'un homme mur. Naît d'un simple regard, cette tentation inavouable, jugée malsaine mais pourtant si réaliste, deviendra dans le cas présent, incontrôlable, passionnelle, et même obsessionnelle chez cet homme. Un scénario parfaitement maitrisé, à l'écriture entraînante, et témoignant d'une approche juste, des prestations remarquables (le duo James Mason/Sue Lyon est impressionnant, sans oublier une mention spéciale pour Peter Sellers), une excellente bande son et une mise en scène à la photographie magnifique, Stanley Kubrick livre un sans faute pour ce film attendu au tournant. Le cinéaste s'attaque à un sujet compliqué (propice aux fameuses polémiques) en adaptant l’œuvre de Vladimir Nabokov, mais surtout en la remodelant afin de lui donner une dimension plus énigmatique et plus réfléchie (on peut faire confiance à Kubrick pour cet aspect). Le travail millimétré du cinéaste sur ce récit fera jaillir de nombreuses questions. En effet, ce fameux désir, malgré son interdiction capitale, relève t-il de la nature humaine ou de la maladie incurable ? Ou peut-être est-il simplement un fruit de l'évolution comportementale/sociétale ? Également, on ne sait pas si cet homme vient de subir un coup de foudre soudain et inattendu, ou s'il est récidiviste. En effet, quelle est la vraie raison de cette arrivée dans cette région et cette recherche de logement ? Vient-il de fuir une vie passée après que ses attirances sexuelles aient été démasquées ? Pourquoi fuit-il le regard de Lolita lors de sa première rencontre avec elle ? Était-ce la peur de retomber dans quelque chose qu'il a déjà vécu, ou était-ce simplement pour s'épargner un regard jugé trop insistant et donc une potentielle gêne vis-à-vis de la mère ? C'est autant de questions qui ne trouveront pas de réponses précises, de quoi laisser planer le doute quant à la véritable interprétation sur le cas de cet homme. Même s'il y aura des phrases ou des comportements qui en diront long sur ses intentions, il n'y aura pas de preuves explicites pour ranger cette personne dans telle ou telle case. Le film joue donc la carte de l’ambiguïté, en nous amenant à nous questionner sur la véritable condition de cet homme. "Lolita" nous touche donc par les questions qu'il soulève et le désarroi qu'il installe. Partant pourtant instantanément avec un point de vue radical à la découverte du thème, le spectateur sera finalement amené à entamer une réflexion plus profonde dans le cadre de cette histoire, si finement menée qu'elle en viendra à titiller une certaine compassion vis-à-vis de cet homme, souffrant, et subissant l'emprise de ce désir honteux et inavouable. Une adaptation très pudique de l’œuvre "Lolita", laissant de côté la nudité et le moindre baiser au profit d'un climat plus psychologique. Kubrick n'a pas choisi ce sujet par hasard, le cinéaste réussit, de par son traitement, à rendre cette œuvre plus profonde et plus complexe que le simple péché obsessionnel.