Damien Chazelle s’y connaît incontestablement en musique de conservatoire. Mais le bougre semble aussi s’y connaître en mise en scène, en cinéma. Voilà donc le deuxième long-métrage d’un inconnu, un film éblouissant de par sa tension, de par ses interprètes et de par son scénario. Whiplash, l’outsider des grandes sélections, n’aura laissé personne indifférent face à sa maîtrise du sujet traité, face à la tension qui régit les rapports entre un étudiant en musique et son professeur, directeur d’orchestre, tyran sans pitié, perfectionniste idéaliste et par-dessus tout malhonnête briseur de rêves. Jamais, voire qu’en de très rares occasions, le cinéma ne s’est intéressé d’aussi près à l’univers du conservatoire, ici dans sa variante Jazz classique. La musique, la folie du musicien, les hauts et les bas de carrières sont des thèmes ayant été abordés à maintes reprises au fil des ans, mais jamais l’essence même de la pratique d’un instrument ne fût aussi exaltante. Au sortir de Whiplash, n’en en serions presque à avoir mal aux mains. Et pour cause.
En dépit du fait que le Jazz ne soit absolument pas ma tasse de thé, c’est sans doute le cas d’une multitude de cinéphiles, l’univers élitiste, perfectionniste et quasiment lyrique des orchestres qui pratiquent la discipline, qui s’efforcent de maîtriser au plus haut point leurs compositions, ne peut laisser de marbre. La batterie, d’ordinaire l’apanage des groupes de rock, trouve ici sa vocation primaire, celle de créer le rythme, accessoirement d’offrir des solos de percussions. C’est de cet instrument central que joue le jeune et ambitieux protagoniste premier de Whiplash. Mais ces rêves, à portée de main, sont méchamment mis à mal par le directeur d’orchestre de son école, musicien exigeant, pour le moins, n’employant jamais les manières douces pour faire connaître son opinion. Le vie du jeune batteur devient cauchemardesque. On découvrira, aux termes des péripéties douloureuses, que tout ça était voué au but ultime de la perfection, du dépassement de soi. La morale n’est pas sauve, de loin s’en faut, et c’est sans doute ce qui plaît chez Damien Chazelle.
Whiplash, accessoirement, ne serait pas ce formidable film à vocation documentaire et dramaturgique sans la complémentarité et les envolées de ces deux comédiens principaux. Alors que J.K. Simmons fût récompensé de l’Oscar du meilleur second rôle pour sa prestation tonitruante et charismatique du directeur Fletcher, la récompense est amplement méritée, on aurait tendance à relativiser la performance du jeune Miles Teller. L’acteur, au sortir de productions adolescentes, cases obligatoires pour beaucoup de comédiens, livre une solide composition, très juste et surtout très impliquée. Derrière les fûts de sa batterie, l’acteur paraît investit, pris dans la spirale musicale. Il semble détaché de sa fonction d’acteur pour n’être qu’un musicien. Autour de ces deux personnages, gravitent quelques seconds rôles intéressants, je pense là notamment aux deux batteurs en compétition avec notre protagoniste ou encore à la ravissante Melissa Benoist, l’atout charme du métrage, sans forcer.
En bref, peu importe les aprioris que peut provoquer le Jazz, peu importe les longues séquences musicales déplaisantes, oui je n’aime pas ce type de musique, Whiplash est une expérience indispensable pour tous cinéphiles d’aujourd’hui. Film sérieux, film exigeant, film résolument tourné vers le réalisme d’un monde sans pitié, d’un univers de concurrence permanente, le film de Damien Chazelle est une réussite notable. 17/20