« Dear White People » est le premier film du jeune réalisateur Justin Simien, une des révélations du Sundance Film Festival de 2014. Dans le registre du cinéma au propos politiquement et socialement engagé, la comédie « Dear White People » est en réalité bien plus exigeante qu’elle en a l’air.
Le film dépeint la tension ascendante entre les étudiants Noirs et les étudiants Blancs d’une université américaine prestigieuse et fictive (inspirée de Dartmouth, une Ivy League). Samantha White, jeune étudiante métisse, interprétée par la prometteuse Tessa Thomson, dissèque les clichés racistes dont sont victimes les personnes de couleur Noire dans une émission de radio « Dear White People ». Progressivement l’activisme de Samantha prend des proportions démesurées et vise à « rassembler ses troupes » pour s’opposer, tels de nouveaux Black Panthers, à la suprématie blanche sur le campus.
Dans ce rapport de forces qui prend la forme d’un jeu d’échec universitaire, s’affrontent plusieurs personnages, qui ont l’intérêt d’incarner une personnalité certes, mais surtout des idées et des positionnements face à une question raciale foncièrement clivante. C’est là toute l’originalité du film ; les personnages ne sont pas de simples personnes ou pions scénaristiques, ils sont plus que ça, ils sont des angles. Des angles d’attaques, des angles de retraits, des angles de passivité, des mentalités éclatées. Ces angles bien sûr s’expriment à travers des psychologies parfois radicalement opposées, mais toutes ces nuances et ces divergences, au sein même de la communauté noire, sont brillamment résumées par Samantha, personnage central par son engagement et son rôle de leader mais aussi par son métissage qui lui confère une « centralité ethnique », une place aux milieux des oppositions qui la contraint à choisir un camp, une cause (en l’occurrence celle des opprimés, des Noirs).
En effet, le film, avec un découpage graphique ludique et travaillé, prend la forme d’une thèse de sociologie, d’un cas pratique. La distinction conceptuelle de Samantha, entre les différents types de Noirs et leurs rapports à leur couleur en est la preuve.
-D’abord, les « Ooftas », ce sont ceux qui s’accommodent tellement de leur couleur, qu’ils en épousent le rôle et les caractéristiques. Face aux Blancs, ils substituent au naturel, un numéro de « Noir », jouant au « Noir de service », en reprenant tous les codes culturels et linguistiques qui y sont associés. Le personnage de Kurt, fils du Dean, pur produit de la méritocratie Noire, incarne ce type-là, en essayant de rentrer dans les bonnes grâces de l’odieux fils du président de l’université.
-Puis, les « nosejob », ceux qui n’assument absolument pas leur nature Noire, et la nient. Le personnage de Coco Conners, fausse bimbo pas du tout écervelée, mais à la langue futée et bien pendue, représente cette négation de soi. Ou encore le jeune Nerd homosexuel, Lionel, qui ne se reconnait pas dans une culture en particuliers, dans ces clivages, ces étiquettes sous lesquels il étouffe. Lionel à peur du conflit, des conflits, et ne prend donc aucun parti, aucun risque.
-Sam et ses amis (qui illustrent bien la perte d’individualité que peut entraîner l’adhésion à certains groupes), eux sont les « 100% » qui revendiquent parfois à outrance, leur couleur de peau et leur culture, et l’oppose à une culture blanche qu’ils jugent prédominante et invasive.
Le film pourrait se résumer à ces 3 catégories, mais il pousse la subtilité plus loin. Ce conflit racial entre noirs, persuadés d’être toujours des victimes (la phrase du Président à Sam, quand il lui dit que la seule chose qu’elle aurait souhaité fut de naître à une époque où les Noirs étaient pendus aux arbres, pour avoir une vraie cause à défendre) et blancs qui considèrent cette lutte comme obsolète et injustifiée, n’est qu’en apparence binaire.
En réalité, le personnage de Sam, ne se bat pas pour la vraie cause, la sienne. Elle n’est que la manifestation de l’incapacité du cerveau humain à penser le mélange, la nuance, l’autre dans sa complexité, sa subtilité, sa pluralité : le métissage. Car Sam est victime de cette manie américaine de cataloguer comme Noire toute personne avec un parent Noir. Barack Obama serait, par exemple, le premier Président noir. Le refus de Sam, dans une scène, d’entendre le terme « mulâtre » est la parfaite démonstration de ce malaise.
Le film superpose donc plusieurs couches de débats, de conflits, et dépasse une binarité qui aurait été trop évidente, tout en jouant sur les codes, les stéréotypes ( the « Angry Black Woman »), avec un humour efficace porté une mise en scène colorée et dynamique. Un film sur la justice, l’engagement, le courage, et surtout sur le rapport de l’individuel et du collectif, un film sur aujourd’hui, en somme.