Tranches d'une autre vie.
Soleil et sable chaud, dunes où survivent des buissons faméliques, arbres rares, eau précieuse, village ocre à terrasses et sages enturbannés régentés depuis peu par d'autres turbans kalachnikovés. C'est l'univers aride que nous donne à voir le magnifique "Timbuktu", toile de maître que nous nous sommes payée avant de nous regrouper en famille, avec un zeste de culpabilité, autour de nos coupes de bulles alcoolisées...
Pas vraiment de scénario à raconter, juste une suite de séquences parfois très dérangeantes si l'on songe à l'essentiel que nous avons laissé derrière nous, à tout ce que nous gaspillons pour nous... sentir vivants.
Dans un village du Mali, la police islamiste installée depuis peu tente de dicter sa loi à la population locale. Pas de guirlandes lumineuses là-bas. Pas d'électricité d'ailleurs, même qu'on s'est demandé comment ils rechargent leurs portables. Mais le ciel étoilé des nuits de l'Afrique c'est le cinoche aux terrasses des casbahs.
Un buisson, cadré par le machino facétieux entre deux ou trois dunes alanguies pour évoquer la toison d'une femme à la racine de ses deux cuisses, donne des idées à un djihadiste et ça le contrarie. Il vide le chargeur de sa Kalach pour le faire disparaître. Machisme consternant.
Un groupe d'ados mime une partie de foot acharnée, sans ballon car ce jeu est interdit. Ballet fabuleux.
Prise en flagrant délit de pratique musicale, une jeune fille s'obstine à chanter sous les 80 coups de fouets que la sanction requise pour sa transgression fait pleuvoir sur elle. Courage poignant.
Enterré debout jusqu'au cou, un couple d'amoureux succombe à une lapidation. Sinistre horreur.
Excédé, un éleveur paisible se révolte contre un pêcheur qui a tué sa vache préférée parce qu'elle piétinait ses filets, et le tue accidentellement. Digne et serein, magnifique, il attend la sentence qu'appliqueront ses nouveaux juges autoproclamés, stupides et sans pitié.
Magnifié par une photo proche de l'épure, ce film bouleversant met en parallèle la simplicité sublime de gens de rien et la bêtise féroce de leurs pauvres cloches de bourreaux. Les nomades et les villageois sont beaux, leur musique est belle, leur foi islamique est belle, leur vie est simple et innocente mais pour les extrémistes ils sont coupables. Certains le payent très cher.
Et nous, nous vivons le cul dans le beurre. La magie du cinoche nous donne à voir le monde sans artifice. En focalisant sans voyeurisme sur la souffrance des hommes, elle nous donne à penser...