« Timbuktu » signé par le réalisateur mauritanien Abderhammane Sissako, est un pur bijou d’émotion et de justesse cinématographique. Comment parler autrement d’un film, qui épouse parfaitement son sujet, en l’occurrence l’occupation militaire des terroristes fondamentalistes musulmans à Tombouktou, à travers une mise en scène tout en langueur et en douceur ? L’absence d’artifices ou d’effets stylistes ne s’accompagne pas d’un réalisme sec et sans saveur, mais laisse planer un mystère, un souffle qui évoque un univers digne d’un conte, notamment à travers l’histoire déchirante de Kédane, éleveur de bétail qui vit à l’écart du village avec son angélique fille, et sa femme, impressionnante de flegme, de courage et de force spirituelle.
Le film épate par l’attention porté aux visages, chaque visage à son histoire, sa géographie, sa science affective, le faciès apparait comme le paysage du cœur des personnages. On est coi devant tant de beauté, beautés subtiles, beautés subsahariennes, beautés nobles, dont la noblesse est paradoxalement renforcée par l’humilité de la mise en scène, qui laisse aux visages la possibilité de développer leurs propres langages métalinguistique.
Le propos du film est consensuel, établissant bien la distinction entre un islam modéré, moderne, tolérant, le « vrai », incarné par l’immam de la ville qui sermonne les djihadistes à plusieurs reprises au cours du film. Ces derniers sont dépeints avec justesse, sans caricature : même pas comme des lâches, tout simplement par des ignares, des pions, des soumis, des aveugles, de jeunes brebis égarées, perdues dans la confusion la plus obscure (leurs visages recouverts font écho à l’obscurité dans laquelle sont plongées leurs esprits ou du moins ce qu’il en reste). La scène où le jeune homme noir, ex-rappeur doit témoigner devant la caméra de ses motivations et de son parcours comme djihadiste, en est l’incontestable démonstration.
Mais cette dimension consensuelle n’est le reflet que de l’unité face à tant de barbarie mais surtout de profonde stupidité. Rien n’aurait pu être plus écoeurant et presque aussi stupide que les djihadistes, que de tenter de vouloir se démarquer du consensus, de l’unité, dans l’unique but d’affirmer une orgueilleuse singularité, une différence censée mettre en valeur l’auteur, lui permettre de mieux surplomber l’unité. Ecueil dont il est manifeste qu’il n’a pas menacé l’auteur une seule fois au cours du film.
La musique est le sel du film, en parfaite adéquation avec la culture exposée, elle se fait, comme souvent, mais là avec un brio plus que notable, célébration de la vie, de la joie, chant face à l’infini (la scène sublime de la jeune chanteuse fouettée et opposant son chant à la violence des coups de fouets).
Timbuktu est un vent de chaleur sur nos cœurs apeurées et dégoûtées par l’abomination du fanatisme (sous toutes ses formes), une ode au courage, à la force d’esprit, à la famille, un conte moral, politique, artistique. Un film complet en somme, qui vaut tous les détours du monde.