"La Régate", le premier film du réalisateur belge Bernard Bellefroid, parlait de paternité et de filiation au travers des rapports difficiles entre un père et son fils. Pour son deuxième film, il a choisi de continuer à creuser le sillon de la filiation en s’intéressant, cette fois ci, à la Gestion Pour Autrui et à l’accouchement sous X, au travers d’une fille de 28 ans qui cherche une mère et d’une mère qui cherche un enfant. La GPA est un sujet dont on a beaucoup parlé lors du débat sur le Mariage pour tous alors qu’il n’en était absolument pas question dans le projet de loi. Curieusement, c’est par contre un sujet que le cinéma de fiction n’avait pas encore osé aborder. Peur d’affronter un sujet particulièrement délicat qui voit se dresser l’un contre l’autre deux camps aux opinions très arrêtées ? Peur de se faire taxer de rouler pour un camp plutôt que pour l’autre ? Face à ce débat qui va jusqu’à profondément diviser les féministes, c’est donc à un homme, Bernard Bellefroid, qu’on doit le premier film de fiction mettant côte à côte les deux futures mères d’un enfant à naître. Tout au long de Melody, le réalisateur prend bien soin de ne pas se poser en donneur de leçon : il a manifestement beaucoup lu sur le sujet, il a bien pris connaissance de ce que la loi permettait en Angleterre, de ce qu’elle permettait en Ukraine et il a, sans aucun doute, étudié les arguments des uns et des autres, mais jamais on ne sent chez lui la volonté de prendre parti. Au travers des discussions entre Melody et Emily, il s’efforce de faire comprendre aux spectateurs les motivations profondes des deux femmes que, jamais, il ne cherche à condamner, tout en n’oubliant pas d’aborder, d’une manière ou d’une autre, ce qu’il peut y avoir de malsain dans la pratique de la GPA. Il (se) pose des questions, il amène les spectateurs à réfléchir, il se garde de donner LA réponse, d’autant plus facilement qu’une pirouette scénaristique arrive à point pour simplifier la problématique. Plus le film avance, plus l’enfant qui va naître prend de l’importance, à coup d’échographies, à coup de mouvements dans le ventre de Melody, et donc plus la question de ce qu’est la filiation devient importante. Une question qui s’alimente aussi au fait que Melody soit née sous X. Curieuses législations face aux problèmes de filiation : la France autorise l’accouchement sous X mais interdit la GPA, L’Angleterre autorise la GPA mais pas l’accouchement sous X ! Par ailleurs, très habilement, le réalisateur met Melody et Emily à égalité quant à leurs situations de départ, aucune des deux ne remplissant les conditions leur permettant de réaliser leurs rêves respectifs : pour devenir mère porteuse, Melody devrait avoir déjà un enfant, elle s’invente une fille, la loi anglaise n’autorise la GPA que pour les couples mariés, Emily est célibataire, d’où le passage par l’Ukraine, dont la législation est plus souple en la matière.
Dans la réalisation de ce très beau film, Bernard Bellefroid et David Williamson, son directeur de la photographie (à ne pas confondre avec son homonyme australien qui a travaillé avec Peter Weir !), ont opté pour une caméra mobile qui ne tombe jamais dans les excès et qui même, souvent, s’autorise de très beaux plans fixes. Une façon de filmer qui met particulièrement en valeur le jeu remarquable des deux actrices : la belge Lucie Debay qui interprète le rôle de Melody, l’australienne Rachael Blake, qui joue Emily et qu’on avait découverte il y a 4 ans dans Sleeping Beauty. Elles ont obtenu ensemble le prix d’interprétation féminine lors du Festival des films du monde de Montréal, édition 2014.