Depuis peu, un vent de folie souffle sur l’Asie : après l’explosion du cinéma sud-coréen, l’ascension de celui thaïlandais, c’est au tour de l’Indonésie de prétendre au titre de nouvel Eldorado du cinéma d’action viril et décomplexé. Après de bons mais surtout marquants films comme "Merantau", "Macabre", "The Raid", "Modus Anomali" et "The Raid 2", aujourd’hui c’est "Killers" qui arrive sous nos contrées ; et après le sympathiquement gore "Macabre", j’étais vraiment curieux de revoir les fameux Mo Brothers en action. L’histoire nous invite à suivre deux hommes : le premier, Nomura, est un japonais dont le hobby principal est de draguer des femmes pour ensuite les torturer et les tuer chez lui pour ensuite balancer la vidéo de son exploit sur internet ; le second, Bayu, est un journaliste indonésien de Djakarta qui a tout perdu (job, femme et fille) après avoir osé s’attaquer à une personnalité influente de la ville. Les deux hommes vont se rencontrer par l’intermédiaire des vidéos du premier et le second, suite à un évènement tragique, va se retrouver influencé par le premier et découvrir la violence et le meurtre…Le nouveau film de Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto (qui ne sont nullement frères en fait) a le mérite de proposer une alternative très intéressante au film de tueur : en démarrant comme un torture porn glauque, le film vire au film de serial killer, puis au drame familial et à la satire sociale. "Killers" nous propose donc un duel de psychopathes peu conventionnel puisqu’il oppose deux meurtriers aux motivations et au comportement radicalement différentes, ce qui amène une sorte de concept d’étude de mœurs très déstabilisante : en effet, les réalisateurs jouent en permanence avec les codes habituels du genre (et donc, par conséquent, avec les attentes du spectateur) pour mieux les briser et nous surprendre. Et c’est ce paradoxe constant qui rend "Killers" si passionnant : avec autant de culot au niveau de la prise de risques, on ne sait jamais à quoi s’attendre et où le récit va nous emmener. Scénaristiquement, c’est très intelligent ; d’autant plus que les deux protagonistes principaux sont techniquement détestables, mais qu’ils parviennent à provoquer à leur égard une certaine empathie grâce à un joli effort d’écriture qui arrive à rendre leur comportement instable presque logique à nos yeux ! Mais attention, "Killers" n’est pas non plus une sinécure : nous nous prenons en pleine tête un traitement frontal du désespoir, de la monstruosité, de la perversité et de la cruauté. Certains passages nous montrent de façon très viscérale que la violence est toujours suivie de dommages collatéraux, qu’aucune action ou décision ne reste sans conséquences. Forcément, si vous n’êtes pas familier à la récente vague de thrillers asiatiques proposant des images assez sadiques (fulgurances gores, meurtres de femmes, sévices, tortures, agonies lentes montrées en gros plan), le visionnage de ces passages risque d’être assez insoutenable….il ne faut pas oublier qu’il s’agit du nouveau film des Mo Brothers, ceux qui ont réalisé "Macabre" : ce n’est pas aux Jonas Brothers qu’on a affaire ici !! Autre point fort du film, les acteurs principaux : Kazuki Kitamura nous livre une inquiétante interprétation froide et clinique d’un serial-killer sadique qui est fasciné par l’agonie de ses victimes qu’il ne peut s’empêcher de filmer avec sa caméra (amis des psychopathes bonsoirs !!)…mais il est tellement monstrueux qu’il en crève l’écran ! Et Oka Antara n’est pas en reste non plus : homme possédant certains mœurs et éthique, il est dévasté par le fait que sa soif de vérité se soit retournée contre lui. D’abord réticent, il va basculer de plus en plus dans l’enfer de la violence au fur et à mesure qu’il se rendra compte qu’elle reste la seule et unique solution en matière de justice : elle va finalement agir sur lui comme une catharsis qui va lui permettre d’exprimer toutes ses frustrations refoulées. Tous les deux sont parfaitement complémentaires à l’écran, comme le Yin et le Yang, et c’est cela qui frustre le plus…et oui, car s’il possède de belles qualités, "Killers" n’est pas exempt de tout reproche : même si j’ai bien accroché à l’histoire, il faut reconnaître que les différents effets de style scénaristiques ainsi que la longueur du métrage pourront en rebuter plus d’un ; cependant le gros problème du film demeure sans conteste son final car, encore une fois,les réalisateurs nous prennent à revers en proposant un dénouement allant à l’encontre de ce qu’on pouvait imaginer. Malheureusement, j’ai un goût amer dans la bouche : après avoir tout fait pour instaurer une certaine tension qui va crescendo durant tout le film via les différences et la complémentarité des protagonistes, on s’attendait à un face-à-face final limite apocalyptique…pas à un dénouement si « moraliste ». Mais les Mo Brothers auront jusqu’au bout gardé leur optique de fausses pistes/surprises : la fin n’est pas une mauvaise fin….elle est juste un brin frustrante. Cru, violent, très sombre, mais proposant un scénario et une intrigue intéressants tout en développant intelligemment la psychologie de ses principaux personnages, le nouveau film des Mo Brothers repousse de nombreuses limites et, finalement, souffre peut-être d’être trop ambitieux dans son concept de déstabilisation. Mais, derrière cette volonté de jouer avec les codes des grands classiques du genre pour mieux les faire voler en éclats, se cache une véritable générosité. Sans être parfait, "Killers" demeure un bon fil à la mise en scène ingénieuse et à la réalisation solide, mais il s’agit avant tout de la proposition de traitement du serial killer au cinéma la plus rafraîchissante qu’il nous a été donné de voir depuis un sacré moment. Je comprends mieux pourquoi Gareth Evans ("The Raid 1&2") a pris sous son aile ces deux jeunes réalisateurs.