Avec « Le crime de l’Orient Express », Kenneth Branagh s’attaque à une montagne : par la face nord il met en image un des plus célèbre roman d’Agatha Christie, ce qui pour un britannique n’est pas une mince affaire. Et par la face sud, il se met en position d’être comparé au film de Sydney Lumet de 1974 que là aussi tout le monde connait. C’est-à-dire, pour résumer, qu’il va proposer un film policier a un public qui, dans son immense majorité, par le livre ou par le film (et souvent par les deux), connait déjà la fin ! Il a donc devant lui le film casse-gueule par excellence : s’il colle de trop près au film de 74, on dira « A quoi bon ? » et s’il s’éloigne de l’intrigue, on criera au sacrilège. Branagh choisit de rester fidèle à l’intrigue tortueuse de Christie, sans essayer de lui apporter des scories qui n’auraient fait que la dénaturer. Pour les rares qui ne connaissent pas cette intrigue, c’est une des plus forte de ce que je connais d’Agatha Christie (mais je reconnais aussi ne pas être très familière de ses romans), une intrigue policière tortueuse bien comme il faut, qui nous amène à soupçonner tout le monde tour à tour et qui nous fait bondir de mini-révélations en petits coups de théâtre. Cette intrigue porte une charge émotionnelle toute particulière car elle s’inspire d’un fait divers abominable qui a bouleversé l’Amérique des années 20 : l’enlèvement du bébé Lindbergh. On ne s’en rends pas bien compte aujourd’hui mais cette affaire criminelle a changé la face du monde policier et de la justice américaine. Christie, et Branagh avec elle donc, change quelques détails, le sexe du bébé, le nom de famille, elle gomme le passé douteux du père du bébé pour ne garder que le drame ultime, qui sert de toile de fond au scénario. Le scénario, dont on ne peut pas tellement en dire plus sans dévoiler l’intrigue au jeune public qui ne la connait pas encore,
met en scène des gens ordinaires et honnêtes, poussés au crime par une justice défaillante. Le film comme le livre pose la question de la distinction entre Justice et Vengeance, une distinction que Poirot lui-même semble remettre en cause, alors qu’il est la droiture même.
Branagh, qui s’octroie le rôle du détective belge, a du non seulement se laisser pousser une moustache d’un autre temps, mais s’est obligé à parler anglais avec un accent français prononcé. Je dois dire que vu en VOST, la performance saute aux oreilles. En revanche, quand il est censé parler français, c’est un peu moins convaincant, forcément. Il compose un Poirot tout à fait convenable, un peu moins débonnaire que ses prédécesseurs. Il ne modernise pas le personnage autant que Robert Downey Jr à ripoliner le personnage de Sherlock Holmes, mais c’est malgré tout un Poirot convaincant. A ses cotés, un casting 4 étoiles avec Pénélope Cruz, Michèle Pfeiffer, Willem Dafoe, Judi Dench, Johnny Depp ou encore Daisy Ridley. On ne prend pas vraiment de risques avec un casting de ce calibre. Alors avec un casting de malade et un scénario qui roule tout seul que restait-il à Kenneth Branagh pour se distinguer : la réalisation. Il a tenu à sortir le plus possible du huis-clos qui fait pourtant le sel de l’intrigue ; plans larges sur les villes de Jérusalem et d’Istanbul, vue aériennes magnifiques du train traversant les Alpes, couchers de soleil de carte postale, paysages enneigés trop beaux pour être vrais, mais aussi scènes filmées à la verticale, scène de l’avalanche impressionnante : pas de doute, Branagh maîtrise son sujet. Un peu trop même, on peut finir par trouver que sa réalisation manque de finesse et de subtilité, on peut aussi trouver que parfois l’interprétation de certaines scènes est un peu surjouée, que la musique est un peu trop forte, appuyée, formatée. En fait, peut-être parce qu’il n’avait pas d’autres choix, il propose un « Crime de l’Orient Express » modernisé à la sauce numérique, adoptant les codes du film hollywoodiens, probablement pour plaire à un public de 2017 qui exige d’en avoir un peu plein la vue au cinéma. Du coup, le charme british de l’intrigue de Christie en souffre nettement et même si le film est bien calibré, bien rythmé, sans temps morts, et bien il n’a pas le charme un peu désuet de son prédécesseur des années 70. Branagh s’est fait plaisir avec ce remake, il se fait plaisir avec un casting de ce calibre, il se fait plaisir avec ses belles images, ces travellings, ces paysages à couper le souffle, il tente de moderniser l’histoire, avec des courses poursuites et quelques coups de feu, mais… Mais il est difficile, au sortir de la salle, de ne pas se demander malgré tout « Ce remake, qui n’apporte au final pas grand-chose à l’œuvre originale, était il vraiment nécessaire ? »