L’Orient express : un train d’exception créé par le belge Georges Nagelmackers à la fin du XIXème siècle, mis en scène au cours d’un roman policier d’exception écrit par une romancière d’exception, Agatha Christie. Une œuvre littéraire d’exception adaptée au cinéma par Sydney Lumet avec le concours d’un casting d’exception. S’attaquer au remake s’avérait donc être un pari risqué, pour ne pas dire casse-gueule, tant le film de Sydney Lumet était bon, certes assez lent mais conforme à ce qui se faisait à cette époque-là et surtout… conforme au rythme du bouquin. Alors comment attirer le public dans les salles pour découvrir ce remake du film de 1974 ? Déjà l’affiche est esthétiquement parlant plus soignée. En découvrant la bande-annonce, on verra que la bande-annonce vérifie cette première impression : l’esthétique visuelle est absolument superbe ! Mais ce n’est pas tout : elle a été faite comme si nous avions un scénario à la Cluedo. Point de Colonel Moutarde et compagnie, mais chaque personnage est présenté comme un possible suspect : la gouvernante, la missionnaire, le Comte, la Comtesse, le valet de chambre, la veuve, la dame de compagnie, la Princesse, le professeur, le médecin, le secrétaire. Tout un lot de personnages interprétés là aussi par un casting d’exception, parmi lesquels le spectateur reconnaîtra Michelle Pfeiffer, Derek Jacobi, Willem Dafoe, Judi Dench, Pénélope Cruz, Johnny Depp et… Kenneth Branagh dans la peau d’Hercule Poirot. Rapidement, les fans d’Agatha Christie dont je fais partie (j’ai lu jadis la quasi-intégralité de ses œuvres) s’apercevront que le cinéaste Kenneth Branagh propose plus une relecture du roman qu’autre chose. Certes l’essentiel est là, mais il donne la part belle à ce train mythique par une kyrielle de plans très diversifiés. Des plans magnifiques qui réjouiront à n’en pas douter les amoureux de cette belle mécanique, évoluant dans de fabuleux décors. Mais cela comporte un inconvénient : cette belle part donnée est au détriment de certains personnages ! Par exemple, la Princesse Natalia Dragomiroff (Judi Dench) ne sert absolument à rien. Ensuite, le personnage incarné par Pénélope Cruz est étrangement en retrait. Bien évidemment, Hercule Poirot occupe le devant de la scène. Kenneth Branagh a bien compris le fonctionnement de ce personnage que seule la réputation précède. Cependant il s’est permis d’amener quelques variantes : Poirot se bouge ! Bon ce n’est pas pour autant un film d’action à proprement parler, loin de là, mais Poirot court ! Enfin il court... pas longtemps, hein... ce n'est pas un athlète non plus... Je ne sais pas trop si ce sera bien toléré par les plus fervents admirateurs d’Agatha Christie… Eh bien dites-vous que c’est une façon de moderniser (avec parcimonie) une intrigue qui date de 1934. Et puis il faut tenir compte que si c’était pour proposer quelque chose de similaire en tout point à ce que nous avait offert Sydney Lumet, où se trouvait alors l’intérêt ? En revanche, la reconstitution de l’époque a été soignée aux petits oignons. Entre les costumes, les allocutions soutenues et le décor du train, le spectateur n’aura aucun mal à s’immerger dans l’ambiance luxueuse des années 30. Mieux : on pourrait croire que les voitures (alliant le concept des wagons-lits développé aux Etats-Unis avec le raffinement luxueux des paquebots) sont les vraies. Et pourtant, ce ne sont que des reconstitutions, modulables pour les besoins du tournage. Mais alors, au vu de ma note, qu’est-ce qui cloche ? J’y viens. D’abord le fait que l'évolution de cette enquête complexe ne ressorte pas plus que ça. C’est limite plat. Ceux qui ne connaissent ni le livre ni le long métrage de Sydney Lumet seront cependant (agréablement) surpris par la conclusion des investigations. Ensuite le fait que ce soit tourné en studio. Je ne parlerai pas de l’aspect carton-pâte très visible en fin de film : la gare où descend Poirot et les réverbères… Mais ce n’est pas cela le plus grave : prenons cela comme un hommage aux films des années 50/60. Ce qui me chiffonne le plus, c’est qu’aucune buée ne sort de la bouche des différents personnages. Dans le train, c’est normal me direz-vous. Mais quand ils sont dehors ? Ils sont en pleine montagne, il y a de la neige partout, et il y a même eu une avalanche. Tranquillou, pépère, Monsieur Poirot sort engoncé dans son complet toujours impeccable, sans manteau, qu’il sortira enfin lors de sa descente de train définitive, là où il n’y a pas de neige ! A croire que trop préoccupé par l’affaire qui s’est présentée à lui, le froid n’a aucune emprise sur lui. Ni sur lui ni sur les autres d’ailleurs. A cela on rajoute le fait qu’on puisse marcher sur le toit bombé et enneigé d’un train sans que le moindre semblant de glissade ne se profile à l’horizon. Bon pour cette dernière remarque, c’est un détail. Mais c’est justement cette multitude de petits détails loupés qui font tâche, surtout quand on a affaire à un fin limier pour qui chaque détail compte, même le plus insignifiant. Espérons que Kenneth Branagh fasse mieux sur "Mort sur le Nil", d’ores et déjà annoncé, non pas par la presse (enfin si quand même), mais en fin de film.