Barton don't think. On a crié haut et fort, lors de la sortie de cette nouvelle comédie des frères Coen, qu'il s'agissait de la conclusion de leur "trilogie de la débilité" entamée avec "Oh brother" et poursuivie par "Burn after reading". Les spectateurs eux-mêmes s'attendaient à un franc fendage de poire façon "Big Lebowski". Sauf que comme d'habitude chez les frangins surdoués, c'est un peu plus compliqué, et nettement plus subtil que ça. Car en situant leur scénario dans les coulisses d'un studio de cinéma, les Coen en profitent certes pour pointer du doigt la futilité de ce microcosme particulier, mais en profitent également pour déclarer leur amour sans faille à cette futilité salvatrice de bien des maux. Il est ici sans cesse question de l'opposition entre monde réel et monde du cinéma, et sans trop en dire, le rôle d'Eddie Mannix (excellentissime Josh Brolin) est de garder cette frontière nette en évitant qu'un monde déborde sur l'autre, alors qu'il doit lui même choisir entre une entreprise de cinéma et une entreprise de fabrique d'armes. Car la débilité ambiante à Hollywood n'empêche pas l'industrie de produire les plus grandes histoires jamais contées, ce n'est pas pour rien si le film dans le film, "Avé César", est une histoire du Christ, comme ce n'est pas pour rien si l'intrigue évoque la phase "chasse aux sorcières" qui coûta sa carrière à Dalton Trumbo. Les auteurs soulignent ici avec brio la violence d'une incursion du réel dans un univers de paillettes et de carton-pâte. Même si le film n'est pas sans défauts (on peut regretter certaines baisses de rythme dues au montage, comme on peut regretter que Jonah Hill et Frances McDormand fassent de la figuration) l'ensemble n'en reste pas moins supérieur à 99% de ce qui sort actuellement, formellement parlant c'est un pur régal, entre la mise en scène toujours inventive de Joel et Ethan (dont un ébouriffant numéro de claquettes avec Channing Tatum) et la sublime photo de Roger Deakins, chaque plan m'a rappelé pourquoi j'attendais toujours un film des Coen avec une telle impatience. Le sujet le permettant, les frères en profitent pour caser un certain nombre de clins d'oeil malins, du studio Capitol pictures (tiens, le studio qui débauchait Barton Fink) à Carlotta Valdez (les fans d'Hitchcock feront le rapprochement) en passant par Wallace Berry, les références pleuvent, et puis détail amusant de leur part: ils nous abreuvent de caméos en ramenant à l'image des gueules qu'on aime bien (de Clancy Brown à Wayne Knight, en passant pas Christophe cocorico Lambert, ou encore le cultissime Robert Picardo, bien connu des fans de Joe Dante). En bref, "Avé César" a été pour moi un grand bonheur de cinéma, d'une intelligence scénaristique total et formellement brillant. Certains ont été déçus par le fait que le film soit moins délirant que prévu (la subtilité ne parle pas à tout le monde et c'est bien dommage) pour moi ce sera les deux pouces en l'air!