Les frères Coen ont une filmographie impressionnante, composée en grande partie de grands films presque tous devenus cultes. Néanmoins comme la plupart des cinéastes à la carrière longue et éclectiques, ils ont connus quelques coup de mous avec des films qualifiés de mineurs notamment au début des années 2000, où, à une ou deux exceptions près, leurs films étaient moins incisifs, mordants et mémorables. Ici ils reviennent 3 ans après leur prodigieux Inside Llewyn Davis pour cette fois-ci s'intéressé à l'envers du décor du Hollywood des années 50 dans une démarche assez similaire de leur précédent film en voulant explorer le quotidien d'artistes d'époques mais en le faisant ici de manière beaucoup moins narrative avec des ambitions plus grandes mais traitées avec un ton plus léger. Un retour à la comédie acerbe qui semble être la quintessence de leur cinéma mais qui donne une fausse impression de film mineur.
Le scénario du film est presque anti-narratif, le récit se composant majoritairement de sous intrigues qui traduisent le quotidien pas banal d'un studio de cinéma qui ont la forme de petites scénettes ou sketchs qui forment un tout. C'est un peu ce qui ferra le défaut de l'ensemble, n'ayant pas véritablement d'intrigues définis ont a l'impression que cela manque d'impacts et ce n'est pas aidé par la masse très importantes de personnages qui peuplent le récit diluant son aura, le rendant parfois confus et bancal surtout que la plupart des personnages n'ont pas d'autres utilités que de faire une critique d'un aspect d'Hollywood et ne sont là que pour une ou deux scènes. On a donc l'impression d'être en face d'un film désincarné qui n'a pas d'autres ambitions que de dénoncer un système factice qui joue sur l'image du faux en promulguant une ou plusieurs idéologies du faux. On peine donc à s'attacher aux personnages et à s'impliquer dans leurs péripéties mais on reste fasciné par la critique très dure mais aussi bienveillante du cinéma. On nous présente un monde de mensonges, d'apparences trompeuses et de manigances, et l'écriture des frères Coen arrive parfaitement à retranscrire cette hypocrisie ambiante et compose une mise en abyme intelligente et drôle sur l'image que renvoie le cinéma. Car même si l'on a conscience de son aspect faux et même mensonger, il exprime une passion et une ardeur qui nous parait juste, qui donne à ses personnages un aura sacrificiel car ils mettent de côté leurs intégrités, leurs familles et même leurs vies de côté au sein d'une même passion, d'un art qui est noble.
Le film laisse aux spectateurs le soin de juger si ils ont raisons ou non, et cela dépendra de l'affinité de celui-ci avec l'industrie du cinéma, poussant une autre réflexion, celle de la croyance. Prenant sans se gêner la religion en dérision (hilarante scène autour de la censure religieuse), les Coen s'intéresseront plus à la croyance en général plus que la foi religieuse, qui ici sert aussi de mise en abyme. On nous parle de la croyance à l'idéologie communiste, parlant même des scénaristes ouvertement communistes et qui n'avaient pas le droit d'exercer à l'époque malgré l'excellence de leurs œuvres parfois, ou alors ils se faisaient exploités. Mais aussi le film parle de la croyance du spectateur, à travers notre propre regard, nous faisant regarder un film qui parle d'autres films et où tous se mélangent grâce à une utilisation habile et inventive de la voix-off. L'écriture se montre donc incroyablement dense et superbement intelligente, nous entraînant avec beaucoup d'humour vers des pistes de réflexions vastes et profondes sur ce qu'est la croyance et la passion d'un art à travers le cinéma de l'époque mais qui trouve résonance aussi à travers notre propre époque, parlant aussi d'un moment de l'histoire où le cinéma était encore une industrie fragile et incertaine, par vraiment encrée dans le quotidien, et où il fallait faire acte de foi pour travailler en son sein et parvenir à le légitimer.
Le film est muni d'un casting phénoménal mais qui se révèle pas aussi époustouflant que l'on aurait pu le croire, pas mal de grandes pointures du cinéma n'étant utilisés que pour de courtes scènes ou des rôles assez anecdotiques comme pour Jonah Hill, Tilda Swinton ou Ralph Fiennes par exemple. Même si ils sont quand même très bon et offre des prestations impeccables, on retiendra plus des acteurs comme Scarlett Johansson, excellente malgré un nombre de scènes limitées, Channing Tatum, hilarant dans son cabotinage ou encore Josh Brolin, impeccable en leading role menant le film avec son charisme naturel et son humour pince-sans-rire. Mais ceux qui assure vraiment le spectacle c'est très certainement George Clooney, offrant un cabotinage savoureux et maîtrisé à base d'expressions ahuris qui fonctionne à merveille pour traduire son rôle de débile profond, et Alden Ehrenreich qui est excellent et s'impose comme la révélation du film. Chacune de ses apparitions sont absolument hilarantes et il déploie une énergie et une subtilité impressionnante pour retranscrire toute les nuances de son personnage, que ce soit dans le phrasé ou les mouvements.
La réalisation est techniquement impressionnante, réutilisant chaque techniques de tournages de l'époque dans les reconstitutions de films, changeant le ratio de l'image et etc. L'ensemble fait preuve d'une ambition visuelle qui fait plaisir à voir, ne cédant jamais à la paresse pour offrir un tout éclectique mais aussi terriblement cohérent. Le tout étant appuyé par une photographie somptueuse de Roger Deakins, qui s'appuie aussi sur les différents procédés de l'époque jouant habilement des couleurs et des jeux d'ombres, ainsi que la musique inspiré mais discrète de Carter Burwell. La mise en scène des frères Coen transpire le pure plaisir de cinéma, d'une maîtrise impeccable, elle va aussi tomber dans une certaine complaisance à deux moments, lors de la reconstitution d'un ballet aquatique et d'un numéro de claquettes. Ces deux séquences sont impressionnantes et magistralement bien filmée mais elles sont aussi beaucoup trop longues et n'apporte pas grand chose au récit, ayant un aspect totalement gratuit. Néanmoins l'ensemble à beaucoup de rythme grâce à un montage qui navigue avec aisance entre les "scénettes" et les frères Coen travaille leurs transitions avec grâce et élégance changeant d'ambiance et de décor de manière fluide. Le film ayant une ampleur visuel qui renvoi vraiment aux grands films d'époques et qui fait preuve d"un savoir-faire qui laisse pantois, les frères Coen restant les grands cinéastes qu'ils ont toujours été.
En conclusion Hail, Caesar! est un très bon film. Hilarant, intelligemment écrit, ambitieux et dense, il est une satire savoureuse du cinéma de années 50 arrivant même à étirer son sujet vers des sphères plus intimes et universelles comme la croyance et la passion. Ne laissant rien au hasard, traitant une masse impressionnante de sujets, parfois un peu trop d'ailleurs, ce qui empêche ses personnages de respirer et le rend parfois confus. Les personnages sont aussi trop nombreux et émotionnellement assez vides, ce qui rend l'oeuvre un peu froide et qui hormis l'humour n'engage pas d'émotions. La réalisation aussi prodigieuse soit-elle, est parfois gratuite mais elle est accompagné par des comédiens impeccables qui s'en donnent à cœur joie. On est donc dans un pur film des frères Coen, ayant leurs propres styles et particularités, notamment dans leurs sens de tourner les choses en ridicules, la conclusion peut d'ailleurs paraître un brin décevante, mais toujours avec intelligence et brio. Peut être pas leur meilleure oeuvre mais assurément pas un de leur film mineur, un de leur plus froid peut être, Hail, Caesar! est un très bon moment de cinéma dont seuls eux en ont le secret.