C'est un film de Chaplin sans Chaplin (il assure la réalisation mais, pour la première fois, ne joue pas dans son film). C'est donc un film de Chaplin sans Charlot, sans ce personnage qui a fait la célébrité de l'acteur-réalisateur et qui drainait les foules dans les salles de cinéma. Star de Hollywood, cofondateur de United Artists, Chaplin jouissait en 1923 d'une liberté créatrice absolue. Il voulut en profiter pour montrer à tous qu'il était un grand réalisateur et qu'il pouvait passer au long-métrage (c'est son premier essai dans ce format) avec succès, sans son personnage fétiche et sans recours au burlesque, son registre de prédilection. Pari manqué. Le public, dérouté, n'a pas suivi. Ce pur mélo fut un échec commercial qui fâcha tellement son auteur qu'il en interdit, par la suite, sa rediffusion. Et ce, pendant plus de cinquante ans ! Chaplin revint à Charlot et au burlesque dès son film suivant, La Ruée vers l'or, qui fut l'un des plus gros succès financiers de l'époque...
En découvrant L'Opinon publique quelques décennies après sa sortie, on se dit que le pari ambitieux du réalisateur n'a pourtant pas été complètement raté. Si la rencontre avec le public n'a pas eu lieu, Chaplin a bien prouvé ses qualités derrière la caméra, comme l'ont noté les critiques français d'alors. Utilisation fine du hors-champ, travail intelligent sur la lumière, narration elliptique et allusive... Autant de bonnes idées que l'on retrouvera notamment chez Lubitsch et Capra. Dommage, cependant, que le fond ne soit pas aussi inspiré que la forme. Cette histoire d'amour et de mort, accompagnée d'une petite critique des moeurs mondaines, est bien classique et chargée en pathos. Maîtrisée, élégante, certes, mais aussi convenue et très morale. La conclusion semble prôner un retour aux "vraies" valeurs (celles de la campagne, loin des lieux de perdition que sont les villes) et appuie l'idée que le bonheur ou la rédemption passe par le dévouement aux autres. Soit.