Premier film de Charlie Chaplin sans Charlot, "Monsieur Verdoux" est une véritable curiosité, à plus d’un titre ! Tout d’abord, la genèse du projet ne manque pas d’un intérêt puisque le film est une adaptation libre d’un fait divers bien connu chez nous (à savoir l’affaire Landru) dont l’idée a été proposé à Chaplin par Orson Welles. L’association des deux génies (même si Welles n’a pas été plus loin que ce rôle de pourvoyeur) avait, donc, de quoi faire saliver… tout comme la grande question du film concernant l’interprétation de Chaplin, privé de sa panoplie habituelle de vagabond maladroit. Autant le dire tout de suite, le début du film souffre un peu de cette curiosité puisque, non seulement, on scrute Chaplin plus que de raison en attendant un jeu différent mais, surtout, l’acteur lui-même semble assez réticent à l’idée de s’affranchir de tous ses tics de jeu dont il a fait son fonds de commerce depuis plus de 30 ans. Ce Monsieur Verdoux évoque, donc, terriblement, un Charlot embourgeoisé qui aurait fait un tour chez le tailleur… en tout cas, dans un premier temps. Car Chaplin règle rapidement le problème grâce à une écriture épatante de densité qui va nourrir un personnage qui ne cesse de surprendre à mesure que le film avance. On est, d'ailleurs, en droit d'imaginer que les similitudes entre Verdoux et Charlot, en début de film étaient volontaires puisque, après avoir fait le choix de les gommer pendant quasiment tout le reste du film, il transforme, à nouveau, son héros (tant sur le plan du physique que du comportement) en ersatz du fameux Vagabond...
au moment où il doit être guillotiné
! La métaphore de
l'adieu irréversible au personnage
est assez saisissante... et ce n'est pas la seule surprise du film. On pensait avoir affaire à une comédie légère, tendance vaudevillesque… et on s’aperçoit qu’on se trouve face à un drame qui a pas mal de chose à dire (et, surtout, à dénoncer). Certes, Chaplin, n’oublie jamais d’insuffler à son récit le ton comique qui a fait sa réputation mais rarement il aura abordé un thème aussi sombre. Ce ne sont, d’ailleurs, pas tant les meurtres qui noircisse l’intrigue que le portrait terrible de la société et des conséquences engendrées par la crise. "Monsieur Verdoux" est, avant tout, une implacable critique sociale qui explique les agissements du criminel par
un désir de vengeance contre une société qui lui a tout pris
. Chaplin ne faisait pas vraiment de mystère de ses opinions politiques dans les films de Charlot, il enfonce le clou ici… et va, sans doute, un peu trop loin dans sa logique. Il a, ainsi, tendance à un peu trop "excuser" son personnage
en ne montrant jamais les meurtres ou les cadavres qu’il laisse derrière lui
mais en expliquant (et sur expliquant) qu’il tue pour
assurer un avenir à sa femme handicapée et son jeune fils, gravement mis en péril suite à son licenciement
! Peut-être que ce portrait un peu trop polie s'explique par la censure dont le scénario a fait l'objet mais certaines diatribes de Verdoux
(comme la comparaison entre ses meurtres amateurs et les tueries de masse perpétrées par les gouvernements en temps de guerre)
laissent à penser qu'il s'agit bien d'un parti-pris volontaire. C’est un peu dommage car une représentation un peu plus frontale de ces meurtres aurait conféré au film un ton encore plus atypique et aurait démontré que Chaplin n’avait pas peur de totalement casser son image. C'est sans doute sous-estimer de beaucoup le choc qu' déjà pu représente le film dans l'Amérique puritaine des années 40 ! ICar chaplin a tout de même pris un sacré risque avec ce film (qui s’est d’ailleurs planté au box-office US) qui, outre sa noirceur, restera comme le premier (et dernier) film où Chaplin axe davantage son jeu sur l’interprétation pure et non sur les différents artifices qu’il a tant employés (gags visuels, chorégraphiées, grimaces…). Ce n’est, d’ailleurs, pas un hasard si le reste du casting apparait un peu en retrait par rapport à l’acteur, visiblement très soucieux que sa tentative de proposer quelque chose de nouveau au public ne soit pas parasiter par un second rôle trop fort. On retiendra, tout au plus, les prestations de la braillarde Martha Raye et l’intrigante Marylin Nash. Au final, "Monsieur Verdoux" reste comme une tentative de renouvellement mal récompensée qui mérite vraiment d’être redécouverte… puisqu’il s’agit, à mon sens, d’un des meilleurs films de Chaplin (derrière "Le dictateur", "Le Kid" et "Le Cirque").