Il est difficile de dire spontanément ce qui nous plaît, plutôt ce qui nous ravit, dans "Mia Madre", nouveau chapitre d'une grande autobiographie toute en images, celle d'un homme passionnant, dont l'orgueil et la générosité n'ont de cesse de nous régaler, de nous partager entre un humour naturel et une vérité amère...
Car c'est ainsi que s'étire, superbement, avec une intensité radicale, le nouveau Nanni Moretti. C'est une femme forte qui rend les armes devant son ennemi: elle-même. Mais bien loin de réduire son film à une simple étude du nombrilisme, son auteur lui donne un air frais et pur, un vent d'un naturel touchant, sensible et profond. Ces scènes servies froidement, qui passeraient comme convenues ailleurs, voire mille fois répétées, sont chacune une perle d'une grande bonté, où l'humanité, l'espoir persistent en dépit d'une mère mourante, révoltée elle aussi, mais contre la vieillesse. Trois femmes donc, trois mentalités aussi, regroupées par la complexité de la vie: l'une la voit s'éloigner, la seconde se profiler, et la troisième, lui échapper. Le trouble, la mémoire et le rêve sont les trois pinceaux du réalisateur pour peindre sa toile. Margherita est vivante, elle rit, pleure, engueule les autres, les félicite, rêve aussi, et apporte des séquences fluides à l'abstraction claire, où on ressent plus qu'on ne comprend.
Puis il y a Giovanni... Ironie du sort, c'est l'homme le plus irréprochable, le plus "parfait" face à la situation. Alors que c'est Nanni Moretti lui-même qui l'incarne! L'homme a voulu toucher à ce qu'il n'a jamais été: avec les autres, et non pas pour les autres. Son ton délicieusement flegmatique, sa bienveillance dans des paroles crues de vérité, soulignent une fois de plus sa précision quand à l'interprétation des personnages, qu'on voudrait même appeler "personnes"... Il conforte Margherita, lui rend ses défauts plus supportables. Avec sa mère aussi, il est bon. Seulement il n'atteint jamais la caricature de l'homme parfait. Il en demeure plus humain encore. Tout comme les autres comédiens. De l'acteur baragouineur incarné avec cynisme par John Turturro à la fille de Margherita en pleine crise d'adolescence, c'est toute une vie "banale" qu'on regarde, sans qu'elle soit une fois morose ou désabusée. On a beau s'avouer les vices dont Margherita subit les reproches, on ne peut s'empêcher de rire. Une tragicomédie douce-amer à la saveur étonnante et dont la qualité réside dans la notion de dosage, dans celle d'exhiber la mort et la vie sans encourager les gens à sortir mélancolique: bien au contraire, c'est le ventre et le coeur pleins d'espoir qu'on sort de Mia Madre, avec une certitude, une foi inébranlable en la nature humaine...