Margherita est réalisatrice. Elle possède cette passion, qui lui coule dans les veines tel du sang, qui l’immerge dans l’eau jusqu’à l’étouffement, et qui l’obsède. Durant toute la période de temps que dure « Mia Madre », elle ne se sent pas à l’aise. Une mère en mauvais état de santé, une fille possédant elle-même des difficultés personnelles et qui franchira très bientôt la porte de la majorité, malgré qu’elle se cherche encore et qu’elle ne se soit pas trouvée, comme toutes celles de son âge. Ce nouveau film de Nanni Moretti pue le vécu. Il suffit de voir ces scènes durant lesquelles on aperçoit cette Margherita Buy démangée par ses questionnements et avalée toute crue par des crises intérieures précoces. Il est ainsi question de beaucoup de sujets dans cette oeuvre qui lance un appel à beaucoup de diverses émotions. Elle ne se veut aucunement pas larmoyante, ni trop directe : l’oeuvre nous laisse le temps de penser et de réfléchir, d’observer ces âmes qui sont, au final, perdues, même si ce n’est pas à un degré semblable, qu’il reste des différences, des nuances et surtout un point de conflit jamais révolu entre des personnalités fortes. Mais celles-ci ne plongent jamais dans la caricature grotesque ou dans l’obscène. Une certaine retenue est gardée, enfermée sous clé par un scénario dont on apercevra les limites à la fin, mais qui reste intelligent dans son domaine dans la plus grande totalité du film. C’est qu’on commence à manquer un peu d’air à respirer vers le milieu du film en lui-même, mais arrive alors la petite tornade d’énergie et de sensibilité jouée par un John Turturro toujours aussi génial, en forme, mais qui n’est pas là juste pour ça. Plusieurs facettes complètent son personnage. Et c’est comme ça pour tous les personnages, ce qui leur donne une allure droite et non pas courbée, des traits singuliers et animés, surtout pas figés. « Mia Madre » fait bouillir les sentiments d’un spectateur à la carapace déjà fracassée par les interprétations très justes et par une mise en scène bien modelée sur ce que représente l’oeuvre : la vie, avec ses hauts et ses bas, ses moments doux soudainement trahis par la dureté d’une nouvelle et sa continuité sans final, et surtout sans très peu de pauses. C’est ce qu’on pourrait reprocher au film en lui-même, de ne pas savoir imposer de pauses, de rester tellement près d’un réalisme exacerbé que celui-ci et le cinéma n’en feraient plus qu’un, comme mélangés dans une belle osmose, ordonné et svelte. Pas mal de scènes sont à retenir, des passages émouvants, diablement bien menés pour nous faire couler au moins une larme. Comme cette Margherita Buy restant sur le plateau alors que l’ordre de filmer a déjà été donné, qui murmure son espoir de revoir sa mère sur pied à un John Turturro épris, lui aussi, par cette sensibilité. Comment ne pas l’être, en même temps. De ces passages découlent une vérité criante et désarmante, prolongement de l’émotion et de tout le sentimentalisme que savent faire part les équipes techniques qui ont mis à jour ce projet, et ce jusqu’à la fin. Comment ne pas écrire un mot spécial à une Giulia Lazzarini belle dans sa vieillesse, magnifique dans sa bonne adresse et dans sa noblesse? Comment ne pas ovationner tout ce casting après ce qu’il nous a fait vivre, après ce qu’il nous a fait ressentir? « Mia Madre » n’est peut-être le meilleur film que l’année 2015 a pu nous offrir, il y manque une certaine substance et un quelconque engagement pour que ce soit un « plus grand » film encore. Mais on est déjà à un bon niveau. Impossible de ne pas dire le contraire.