On entre très rapidement dans le vif du sujet et on va vite à se heurter à la rudesse de la vie de ces employés d’un des temples modernes de la consommation. Il n’est pas plus joli ni pire qu’un autre. C’est seulement un exemple d’école. Les polyvalents qui partagent leur temps de travail entre passages à la caisse, mise en rayonnages, tri des denrées selon leur date de péremption et destruction des produits considérés comme invendables ne sont ni mieux ni moins bien lotis que les autres. Certes, ils sont la piétaille du commerce, certes ils gardent belle figure devant le client, certes la feuille de paie n’affiche pas des sommes mirobolantes mais eux, au moins, ont un emploi. Bien sûr, cela ne résout pas tous les problèmes, cela ne rendra pas la vue au père de Gilles (Olivier Barthelemy), cela n’aidera pas Christiane (Corinne Masiero) à éponger ses dettes, cela ne ramènera pas Alfred (Pascal Demolon) à sa famille, cela ne donnera pas un père au garçon d’Emma (Sarah Suco). C’est en voyant leur emploi menacé par les directives qu’est, à son corps défendant, obligée de suivre Sofia Benhaoui (Zabou Breitman) qu’ils décident, sur les conseils de Momo (M'Barek Belkouk), de passer à l’action. Moitié Robin des Bois, moitié Pieds Nickelés, ils vont prendre aux riches pour donner aux pauvres. On a déjà entendu cela, surtout dans l’aire lilloise ! Sur l’instant, après une séquence de destructions massives d’aliments bien ciblés et pas si inconsommables que cela, notre cœur se serre, notre esprit s’indigne, on en murmurerait "Ah, les braves gens"…
Mais aussi rapidement, on déchante quand ce qui aurait pu passer pour une leçon de citoyenneté devient un cours de chapardage industriel. Certes, c’est quelquefois amusant, c’est saupoudré d’un suspense élémentaire mais on est loin de ce qu’un réalisateur comme Ken Loach aurait pu en tirer, ou un Claude Sautet… ou tant d’autres. Mais ici, c’est petit, petit, ça ne vole pas haut, au ras du bitume. Comment le réalisateur aurait pu broder sur les technocrates, au sourire de nazillons, fraîchement sortis de leur école de commerce où ils ont savamment appris et le mépris du client, et le mépris du produit, tout autant que l’adulation du Veau d’Or et de ses coefficients de croissance ! Comment il aurait pu tourner en dérision ce surveillant novice devenu "kapo" ! Mais dans ces conditions la mayonnaise ne prend pas. Pourtant, les occasions ne manquent pas. Les affres que subit l’ancienne fermière veuve héritant de dettes, l’altercation entre Emma en retard et la hautaine nounou ne sont que des mèches allumées sur des pétards mouillés. Alors le spectateur ne peut que méditer et trouver le temps long. Car, dans ce film, rares sont les péripéties et convenus les retournements de situation. Ici, pas de riches ayant acquis leurs biens de façon amorale sinon malhonnête. Dans son supermarché, madame Benhaoui est une travailleuse comme les autres. Or, pour tout un chacun, un voleur n’a grâce à nos yeux que s’il vole une crapule, un escroc. Pensons Arsène Lupin. Sinon, ce voleur n’est qu’une fripouille comme les autres. Et que dire de cette séquence finale qui tente de dédouaner l’équipe de larrons en les faisant leurrer tout un escadron de policiers. N’est pas Mandrin qui veut.
Bref, si ce premier film de Louis-Julien Petit n’est pas aussi mordant qu’on eut pu le souhaiter, si son scénario est un peu gentillet, si les personnages sont un peu convenus et pas tous incarnés avec la même réussite, on ne perdra rien en choisissant un autre titre.