Voilà bien un film dans l’air du temps, un film qui traite d’un sujet que tout le monde connait désormais, le gaspillage alimentaire. Il traite aussi d’un sujet que tout le monde connait encore mieux, le gaspillage humain né de la crise économique, ce gaspillage qui fait des salariés les plus modestes des denrées presque aussi jetables que des invendus. Mais suffit-il de tenir un thème comme celui-là pour faire un bon film ? Suffit-il de mélanger humour, dénonciation et bons sentiments pour faire un bon film ? Pour son premier long métrage, Louis-Julien Petit est en passe de démonter que oui. D’abord, il réussit à composer un casting intelligent en mélangeant des acteurs assez connus et d’habitude abonnés aux seconds rôles (Corinne Masiero, Pascal Delomon) et des acteurs moins connus comme Olivier Barthelemy, M’ Barek Belkouk et Sarah Suco. Tous, y compris les seconds rôles, sont visiblement très impliqués, comme s’ils avaient conscience de la responsabilité qui est la leur d’incarner des gens très modestes qu’on ne met en scène que très rarement dans le cinéma français. Et puis il y a aussi Zabou Breitman qui campe une directrice de Discount qui se comporte comme une garce sans cœur alors que, dans certaines scènes, dans certains plans, elle laisse transparaître autre chose, qu’elle n’est pas dupe du rôle qu’on lui fait tenir, qu’elle est elle aussi un rouage du système et qu’elle doit se faire violence pour appliquer les règle du supermarché. C’est un rôle difficile car faire passer de la nuance, pour un personnage aussi détestable, c’est un tour de force que seule une actrice avec sa sensibilité pouvait réussir. Parce que même si la réalisation de Louis-Julien Petit est classique (ce n’est pas Ken Loach quand même !), son scénario tient la route. Alors bien-sur, par moment, devant certaines scènes (le retrait des chaises à la caisse) ou devant certains personnages (le vigile petit chef qui chronomètre les pauses pipi), on se dit qu’il exagère, qu’il grossit le trait, qu’il tombe dans la caricature. Sauf qu’au fond, on n’en est pas si sur que çà… Au fond, on se souvient avoir entendu aux infos qu’une caissière avait été renvoyé pour avoir récupéré des bons de réductions abandonnés par des clients ou qu’un employé du supermarché avait été licencié pour avoir récupéré des produits jetés à la benne. Quand on y réfléchit un peu, on se dit que le scénariste n’a eu qu’à se baisser pour cueillir de quoi nourrir son scénario. Son scenario, justement, on devine assez vite comment il va finir, on le devine parce que ce supermarché solidaire ne peut pas fonctionner longtemps en dehors de toute la réglementation, en dehors de la légalité, en ne comptant que sur la discrétion des clients. C’est un projet temporaire pour ces employés, et ils ne l’imaginent pas autrement d’ailleurs, c’est comme un gifle qu’on rend après en avoir un peu trop reçu, çà soulage mais çà ne change pas le fond du problème. Le film se clôt même assez brutalement, nous laissant un peu désemparés quand la lumière se rallume, on voudrait savoir commet ils vont s’en sortir, comment ils vont évoluer, preuve qu’on s’est attaché très vite à eux. Côté petits défauts, on peut éventuellement regretter que, en dépit de quelques scènes (assez édifiantes et pour le coup un peu moins crédibles que le reste du film), la situation de Sofia Benhaoui (la directrice du Discount) soit un peu sous-exploitée. De par ses origines, on devine combien elle a du cravacher pour arriver à bien gagner sa vie avec un tel poste, et on se demande comment elle peut gérer l’ambivalence entre sa condition sociale de départ et les méthodes de management qu’on lui ordonne (et pas gentiment) d’appliquer. Il y a de quoi devenir schizophrène, en tous cas moi, il y aurait de quoi me rendre schizophrène ou malheureuse, ou les deux ! Or ce sujet n’est au final qu’effleuré au profit du combat plus symbolique, mais binaire et plus simple et à comprendre, des cinq employés en passe d’être licenciés. Louis-Julien Petit ne va pas au bout de son idée, il préfère dénoncer bruyamment que de rentrer dans l’arrière boutique du système. Autre exemple, il n’explique jamais pourquoi les invendus sont détruits au lieu d’être simplement jetés ou même donnés. Il y a forcément une raison à cet immense gaspillage mais on ne le saura pas : il ne reste que dans la dénonciation pure et simple. Un peu dommage quand même…