Grand classique de la filmographie du non moins grand Charlie Chaplin (qui signe ici, son premier long-métrage), "Le Kid" reste, près d’un siècle après sa sortie, un formidable moment d’humour et d’émotion. Certes, il ne faut pas être perturbé à l’idée de voir un film muet pour apprécier le film à sa juste valeur mais les prestations de Charlot sur grand écran ont cette force de faire rapidement oublier l’absence de dialogues parlés. On ne dira, d’ailleurs, jamais assez de bien du génie de Chaplin, qui cumule ici à peu près toutes les casquettes possibles (acteur, scénariste, réalisateur, producteur et compositeur) et qui parvient à imposer, aujourd’hui encore, son personnage de Charlot comme un des plus grand amuseur du 7e art ! Impossible de ne pas sourire dès sa première apparition dans une ruelle sordide où son look et sa démarche, pourtant connus, font merveille. "Le Kid" lui permet, une nouvelle fois, de faire montre d’un sens du timing comique sans égal et d’un talent hors norme pour faire rire avec des gags très simples (voir notamment ses réactions dès qu’il se trouve face à plus fort que lui). Son personnage s’enrichit, cependant, d’une dimension dramatique étonnante à travers l’attachement du personnage pour ce gamin abandonné qu’il élève comme son fils. Et, une fois n’est pas coutume, Chaplin se fait presque volé la vedette par ce gosse (Jackie Coogan, le futur Oncle Fester de la série "La Famille Adams") qui est, tout simplement, extraordinaire de naturel et d’expressivité et bénéficie d’un look à la gavroche génialement évocateur. Sa bouille malicieuse amuse autant que son regard désespéré fend le cœur. La relation entre les deux personnages brille, non seulement, par son originalité (la gamin aide son "père" dans ses basses œuvres et fait preuve d’une maturité étonnante) mais, également, par sa tendresse. On oublie trop souvent que Chaplin n’était pas qu’un comique et que ses films n’étaient pas aussi "inoffensifs" qu’ils en avaient l’air. Avec "Le Kid", Chaplin dresse un portrait assez terrible dans conditions de vie misérables de son héros et brocarde, par la même, la société qui engendre cette situation. Il se place, d’ailleurs, clairement du côté des pauvres qui tentent de s’en sortir comme ils peuvent (en escroquant si besoin) face à l’autorité représentée par la police (tournée en ridicule, comme dans la grand tradition de "Guignol") mais, également, par les biens-pensants
(la mère est chassée au début du film pour avoir eu un enfant hors mariage)
et les services sociaux. Il semble, d’ailleurs, évident que Chaplin avait une sérieuse dent contre ces derniers quant on voit le sort qui leur ait réservé dans le film ! L’un des seuls défauts du "Kid" est, d’ailleurs, le traitement trop caricatural de l’intervention des services sociaux,
violents, butés, sans coeur et grossiers… alors que, malgré l’amour sincère du "père", les conditions de vie de l’enfant posent un peu question quand même
. On pardonne bien volontiers ce défaut au vu de l’année de sortie du film, de son format muet (qui rend la subtilité plus délicate à retranscrire) et du passé de Chaplin (lui-même confronté, enfant, aux services sociaux en raison d'une mère folle et d'un père alcoolique). On pardonne, également, et pour ces mêmes raisons, la légèreté du scénario et ses grosses ficelles
(à commencer par les interventions providentielles de la mère)
, dont le but n’est pas de faire dans l’élaboré mais bien dans l’efficacité… ce qu’il parvient parfaitement à faire. J’ai, d’ailleurs été plus gêné par les séquences oniriques à la fin du film, qui ne me sont pas apparues comme absolument nécessaires et tranchent un peu trop, à mon goût, avec le ton général du film. Il faut croire qu’il manquait quelques minutes de film et que Chaplin les a rempli avec des personnages déguisés en anges et des diablotins tentateurs. Pour le reste, "Le Kid" est un formidable film et un des sommets du cinéma muet, qui permet de rappeler que le rire et l’émotion peuvent se passer de dialogues.