En 1952, Chaplin avait encore toujours été là. Les vieux cinéastes commençaient d'apparaître. Lui qui a si bien maîtrisé le muet, il a dû s'adapter au parlant, puis à la critique, puis à la guerre, ne sortant victorieux de ces affronts que pour mieux aborder la vieillesse. Il n'avait finalement que 63 ans dans Les Feux de la rampe, mais sentant bien venir des effets du temps qui dépasseraient bientôt l'usure de ses traits, il a fait ce film comme pour donner une dernière fois tout son génie à la fois.
Pourtant, c'est un drame et il démarre mollement, ne laissant pas présager que Chaplin est encore bon danseur et excellent musicien (il pianise, il violonise, il compose). C'est le talent de sa plume qu'il exprime dans des sortes de saynètes lourdes d'ambiance et de sens dans un cadre dont la claustrophobie de l'exiguïté théâtrale fait passer Claire Bloom pour Anne Frank.
C'était peut-être reposant à jouer, mais le texte a bien reposé aussi, éblouissant d'une sagesse vénérable et de citations qu'on croirait volées : "I hate the sight of blood, but it's in my veins" ; ou juste l'innocent "I'm an old sinner, nothing shocks me" qui rappelle mine de rien que Chaplin a toujours péché contre le "courant", ce qui fait de lui, qu'on le veuille ou non, un expert et un moralisateur digne et fort de toute sa légitimité.
Le cinéma a mûri par-devers lui, et Chaplin n'est plus un maître de la technique. Il s'oppresse dans des huis clos n'ayant pour échappatoire que de très mauvais plans sur fond défilant. Et son abandon au théâtre n'est pas non plus très glorieux, entre numéros médiocres et touches malvenues d'humour de circonstances. Mais n'est-ce pas avoir fait preuve d'une lucidité sans faille que d'avoir écrit cette création d'où le caractère autobiographique n'est évident que lorsqu'il est nécessaire ?
Quarante ans après une période du cinéma où il était un précurseur, il arrive encore à nous étonner, comme préservant exprès un semi-génie, car le reste lui échappe - en tout cas, c'est ce que dit son personnage qui lui ressemble autant que le barbier juif à Hitler dans Le Dictateur. Oui, c'est un nouvel alter ego dont il orchestre la mort dramatique, mais comme il le dit lui-même : "time is the best author, it always writes the perfect ending".
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