Considéré comme le chef d’œuvre de Charlie Chaplin, "Le Dictateur" s’avère être une petite merveille, aujourd’hui, encore ! Pourtant, le film ne commence pas forcément très bien puisqu’on se retrouve sur un champ de bataille pendant la première guerre mondiale, où le héros (Charlie Chaplin himself dans sa dernière apparition dans le rôle de Charlot, qui a assuré son statut de légende du cinéma muet) multiplie les maladresses, avec le ton burlesque (et un côté très daté !) qui a fait son succès par le passé. Ce n’est pas que cette introduction soit ratée mais j’attendais autre chose du chef d’œuvre visionnaire qu’on porte aux nues depuis plus d’un demi-siècle… Heureusement, la fin de ce premier conflit marque le véritable début de l’histoire et impose le personnage le plus extraordinaire du film : Adénoïde Hynkel (également campé par Chaplin), dictateur du pays imaginaire de Tomanie et adepte des diatribes haineuses contre les Juifs. Toute ressemblance avec un certain Führer n’est, donc, pas vraiment pure coïncidence et on ne peut qu’être épaté par le courage de Chaplin qui s’est permis une telle satire, à une époque où le nazisme n’était pas encore universellement condamné et où les Etats-Unis se montraient discret sur le sujets, voire ambigus. Et puis, quelle génialissime prestation !!! Plus que la petite moustache si reconnaissable (que Charlot a arboré avant Hitler, du reste…), c’est bien l’incroyable travail sur la gestuelle, sur le langage invitée pour l’occasion et sur la diction du dicteur nazi qui force le respect du spectateur. Les discours d’Hynkel et ses coups de sang sont autant de moments fantastiques de drôlerie et de justesse. On reconnaît, d’ailleurs, tout le talent d’orfèvre de Chaplin qui sait parfaitement chorégraphier ses séquences au millimètre, qui ne néglige jamais les décors et les costumes (la représentation de l’Allemagne nazi est troublante) et qui accorde une place de premier choix (un peu disparue de no jours) au langage du corps. On retrouve, donc, le ton formidablement burlesque des films de Charlot (avec des gags simples et diablement efficaces) mais, également, une portée bien plus dramatique qui, bien loin d’alourdir le film, vient le sublimer ! Les scènes dans le ghetto viennent parfaitement caractériser ce subtil mélange, puisqu’on retrouve, aussi bien,
une plaisante séquence musicale chez le barbier (qui ravira les fans du cinéma muet) que des descentes de milice martyrisant les habitants juifs, en passant par une scène très drôle de « roulette russe » censée désigner un volontaire pour mission suicide
. Les séquences concernant Hynkel sont moins teintées de drame mais s’avèrent bien plus féroces. On y voir, ainsi, le dictateur s’y ridiculiser
(voir la scène de la dictée ou encore la scène culte avec le globe terrestre)
et s’y faire ridiculiser par le dictateur de Bactérie (extraordinaire caricature de Benito Mussolini, campée par l’énorme Jack Oakie… toujours moins cabotin que son "modèle"). Derrière la moquerie frontale se cache, d’ailleurs, une véritable dénonciation de la fragilité du pouvoir et des préoccupations ridiculement terre-à-terre de ces dictateurs autoproclamés. Autre très bon point : la qualité de l’interprétation, si qui était loin d’être évident dans un film où le génie visuel de Chaplin écrase tout sur son passage, au risque de ne laisser que peu de place à ses partenaires. On retient, ainsi, les prestations de Paulette Godard en jeune juive révoltée et plein de fougue, de l’excellent Henry Daniell en ersatz de Goebbels ou encore de Reginald Gardiner en nazi rebelle. Et que dire, enfin, du légendaire discours final, qui a définitivement assuré la place du "Dictateur" au Panthéon des œuvres majeurs du 7e art, si ce n’est que c’est une merveille d’humanité qui se voit transcendé par la bouillante actualité de l’époque. Il est bien évident qu’une telle séquence n’aurait pas le même impact avec un film plus récent. Mais comment ne pas être bouleverséen imaginant la portée qu’ont pu avoir ces propos sur un public pas encore certain de la position à tenir face au nazisme ? "Le dictateur" est, donc, un véritable petit bijou, à la fois drôle et humaniste, qui parvient l’exploit de faire oublier l’improbable postulat de départ (à savoir la ressemblance entre le barbier juif et le dictateur) qui aurait dû être une dérangeante ficelle scénaristique et que s’est transformé en extraordinaire levier amenant à ce non moins extraordinaire discours final. Un grand film…