Certes, parler aujourd'hui du Dictateur, c'est accepter d'écrire un texte avant tout scolaire. En parler maintenant plutôt qu'à une époque où l'on aurait pu le faire, c'est un peu se résigner à écrire sans dangers et hors des normes du Temps. Vouloir à tout prix le chérir par les mots, c'est oublier que le cinéma, car c'est du Cinéma avec un grand C dont on parle, est le duel inachevé entre les yeux et le coeur, la vue et l'émotion, en cela liés que l'oeil dicte au coeur le ressenti et l'émotion, et que le coeur dicte à l'oeil comment percevoir, quand pétiller ou quand rire. Certains ont dit, et à raison, que "Le Dictateur" reposait sur ce calembourg suprême qu'était la moustache, celle d'un Charlot devenu Hitler, la star mondiale du Bien incarner une caricature de la star mondiale du Mal, alors que ce Mal lui-même allait devenir, après que le film fût tourné, le traumatisme d'un peuple, d'un pays et d'une planète, arborant fièrement... la même moustache que Charlot porta innocement. C'est tout dire à quel point Chaplin fût visionnaire, en le voulant, ou pas. Mais comme d'autres auront sûrement bien mieux parlés que moi de cette pilosité hilarante et bouffonne, il m'en vient à remarquer qu'en 1940, année de production du film (qui, rappelons-le, ne sortit en France qu'en 45, peu après le suicide d'Hitler), se jouaient déjà les bases du monde artistique et politique contemporain, et s'établissaient les frontières entre la fin d'une ère, et le commencement d'une nouvelle, celle qui aurait enfin acceptée le génocide, le crime contre l'humanité grâce à une repopularisation et des changements considérables. L'évolution du Monde, Chaplin, à peine à la moitié de son siècle, la visualise : en une scène, dans laquelle le barbier juif retrouve son commerce et se fait humilier par des soldats allemands dont il ignore les vils desseins avant de leur balancer un sot de peinture à la figure, divertissement liquide de la tarte à la crème que l'on retrouve dans les cirques d'avant-