Enfin, il s’est mis au parlant, enfin, on entend sa voix, enfin, on savoure son jeu. Je mets au présent ma réflexion comme si le film était sorti hier et parce que Chaplin se conjugue au présent ! Dans ma série « Sorti des cartons », « Le Dictateur ». Je l’ai écrit dans une autre critique, pour moi, « Les lumières de la ville » est le chef d’œuvre de Chaplin. Celui-ci n’en n’est pas très loin. Je chipote un peu ! Depuis une semaine, je me repasse des films de Charlot. Ici, il n’est pas question de Charlot quoique le barbier en a toutes les apparences, la gestuelle, la pantomime. Voilà plus de 20 ans que je n’avais pas revu le film. Vu et revu du temps où j’étais jeune et adolescent. Mais une relecture à 50 ans ne fait pas de mal et je me suis aperçu à part deux ou trois scènes, j’en avais oublié l’essentiel. Avec le temps, la relecture prend une forme nouvelle. Ce film a quelque peu vieilli surtout dans les scènes de chamailleries entre Hynkel et Napaloni devant le banquet. De même que les toutes premières séquences du film avec la grosse Bertha. Ça respirait le burlesque des premiers Charlot. Mais dès que Hynkel apparaît devant ses « fidèles », son discours fleuve révèle Le Dictateur en personne et révèle la voix de Chaplin, certes entendue dans les premières secondes du film, mais là, on prend réellement conscience de sa voix, du premier film parlant de Chaplin. Tous ceux qui ont pratiqué le théâtre savent que le texte n’a pas d’importance en soi, seules l’intonation et les intentions donnent au texte tout son poids. Chaplin nous offre une leçon de jeu. Le discours de Hynkel est remarquable. Son texte est incompréhensible et pour cause, c’est un charabia volontaire à forte dominante gutturale ! Le discours révèle un personnage terrifiant et ridicule. Là encore, Chaplin a l’art d’alléger le drame. Il en est le maître incontesté. Chaplin sait m’amuser (nous ?) dans les moments les plus tragiques comme la scène des gâteaux et de la pièce, par exemple, ou encore la séquence qui illustre une milice qui poursuit le barbier refusant d’inscrire sur sa vitrine « Jew ». A ce jour, il y a peu de films dits modernes qui réussissent ce tour de force ; de nos jours, on serait plus enclin à jeter l’anathème sur un réalisateur qui s’amuserait à prendre nos sentiments en otage. Oui Chaplin peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. En tout cas, rien ne me choque dans ses films. Puis, il y a des moments de grâce comme cette petite chorégraphie entre le Dictateur et son globe terrestre. Il parvient même à être émouvant. Là aussi, Chaplin est un maître incontesté de l’accessoire. Tout ce qu’il manipule est orchestré avec minutie et fluidité. L’accessoire est vivant, on ne le perçoit pas autrement ; il n’est plus objet, il est la continuité de son bras, de sa tête, il est partie intégrante de son corps. Chaplin a prouvé à travers ce film qu’il est un grand acteur qui a mis du temps à prendre confiance en lui pour enfin accepter de libérer sa voix, et en cela, on peut sans doute lui reprocher son manque de vision lui qui n’a pas cessé d’être un visionnaire ! Toutefois, ce temps lui a permis de produire un film indémodable. Au-delà d’un Chaplin metteur en scène, directeur d’acteurs, compositeur, monteur, gagman, c’est avant tout un merveilleux conteur d’histoires. Je ne chipote plus : ce film est un chef d’œuvre.