Le Dictateur est un très bon film. Je n’ai cependant pas vu le chef d’œuvre que tout le monde acclame, je préfère de loin par exemple son précédent film, son chef d’œuvre pour moi avec « Les Temps Modernes » mais je reconnais que celui dont je vais parler reste une grande œuvre. À son retour de la Première Guerre Mondiale, un petit barbier juif a perdu la mémoire. Il découvre un monde en proie à la folie. Un dictateur hystérique, Adenoïd Hynkel, son parfait sosie, sème la terreur dans le pays. À la veille de la Seconde Guerre Mondiale, Chaplin attaque le totalitarisme avec la seule arme dont il dispose, la dérision avec audace.
Pour aiguiser sa satire du totalitarisme, Chaplin utilise un héros double, qui a deux âmes pour un seul visage. On ne soulignera jamais assez le génie comique de cette trouvaille où Chaplin joue les deux rôles. Le juif traqué et le dictateur criminel constituent les deux faces d'une même humanité. Le mal absolu incarné par Hitler n'est donc pas inhumain, il est nôtre. La caricature du dictateur, où se révèle le génie du mimétisme de Chaplin, est d'une vérité saisissante. Au-delà des vociférations de Hynkel devant le micro, Chaplin stigmatise son hypocrite douceur, ses sourires de commande, ses caresses aux enfants, ses évasions dans la musique et la solitude. Ce portrait réaliste provoque le rire mais malheureusement pour moi plus le sourire, je reproche d’ailleurs certaines scènes de s’éterniser un peu trop surtout lors des discours bien qu’ils restent dans l’ensemble bien plaisants et plutôt marrants mais j’ai plus accroché au burlesque du barbier.
Le barbier juif est un lointain cousin de Charlot qui aurait perdu son insouciance et son universalité. La tragédie du Dictateur n'est plus existentielle mais politique. Par son sens incroyable de la satire et son ironie mordante, Chaplin montre tout ce qu'il y avait d'artificiel, de vaudevillesque dans l'atroce bouffonnerie de l'Axe, notamment à l'occasion des trois ballets, celui du barbier sur un air de boîte à musique, la danse de Hynkel jonglant avec un monde en ballon de baudruche et ma séquence préférée puisque très drôle chez le barbier.
Réalisé en 1940, le film précède la découverte des camps de concentration. Ce premier film dialogué représenta un déchirement pour Chaplin, qui n'assume pas encore le parlant. La langue imaginaire vomie par Hynkel s'oppose à l'extrême discrétion d'un barbier étranglé par l'émotion, qui semble toujours s'excuser de ce nouveau don. Sa montée à la tribune, pour l'homélie finale, est le symbole évident de celui qui doit surmonter sa peur du parlant. Sur cette minute angoissante, Chaplin, comme le barbier, jouent leur avenir.
La voix qui se détache, limpide, de la tribune, devient celle de l'homme persécuté, par-delà les époques et les régimes, qui crie sa souffrance et appelle à la pitié, invoque Dieu et cite l'Évangile. Les réactionnaires y ont vu de la propagande communiste, les radicaux en ont rejeté la naïveté. Or, ce laïus émouvant est le sens profond d'une œuvre candide et ingénue.
Sur le plan de la musique tout est parfaitement bien placé, dosé et gérer, une merveille avec des titres de Wagner et Brahms entre autres.
Charlie Chaplin signe ici donc son premier film parlant mais son déjà 7ème long métrage en tant que cinéaste avec réussite. Il joue tout aussi bien qu’il réalise par ailleurs. Les acteurs Jack Oakie, Paulette Goddard, Reginald Gardiner, Henry Daniell, Billy Gilbert, y sont notamment très bons.
Le Dictateur est un classique traversant les époques.
Ma note : 8/10 !