Merveilleux témoignage du génie de Wilder, "The apartment" est à la fois tendre et féroce, désopilant et bouleversant, désespérant et enchanteur. Tout est en effet souvent apparente contradiction dans l'oeuvre de Billy, et ici il touche l'excellence dans l'art délicat du paradoxe. Le modèle d'entreprise version côte Est fait froid dans le dos : une tour déshumanisée, ruche contenant 31259 employés, où le rêve est de grimper d'un étage, puis d'un autre. C.C. Baxter ne peut pas nous la jouer Cyrano proférant "ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul". La combine y pourvoira, sous les traits de quatre erreurs du genre humain et d'un chef du personnel qui ignore le mot scrupule. Morale sauve, il deviendra un "mensch"...Vision plus que déprimante d'un monde où toute dignité semble s'être effondrée, sauf pour Baxter, Fran et ses merveilleux voisins, très "claniques". Et Wilder nous conte cette déchéance dans un apparent sourire...
A tout ce qui a été écrit ici, concernant la mise en scène géniale, la finesse du dialogue, je n'ajouterai rien. La mélodie de Deutsch peut paraître envahissante, elle est en fait un leitmotive volontairement répété à l'envi, modulé, déformé en fonction des situations. On n'a pas assez loué le fabuleux travail du géant Trauner, auteur de ces bureaux jouant sur une perspective infinie, tout en angles droits, donnant une idée visuelle exacte de la rigidité hiérarchique. Mais aussi d'une exceptionnelle 67ème rue de nuit, rappelant ce qu'il offrait à Carné.
Quant à la distribution sans faille (Mc Murray !), elle permet de voir McLaine proposer une Fran qui, par ses échecs sentimentaux successifs, ses rêves et sa candeur, serait la petite soeur "raisonnable" de la Sugar de "Some like it hot". Et de consacrer à jamais, une fois encore, le génie de Jack Lemmon. Tour à tour Auguste et clown blanc (la scène de séduction avec le chapeau melon), toujours danseur de corps et de visage, il se dégage de lui un parfum de Chaplin plus qu'évident. D'ailleurs, la scène d'ouverture avec les ascenseurs, la cohue des employés vomis dans les étages, la sonnerie à heure fixe commandant le troupeau est la version 1960 du Chaplin de "Modern Times", une forme d'hommage. Toujours sur la retenue, Lemmon, par son jeu et ses expressions, nous en raconte 1000 fois plus que tout un rayonnage de bibliothèque de sociologie. Lemmon, un Stradivarius pour Mr Wilder.