Je vais très certainement vous spoiler ce dernier film en date d'Alejandro Amenábar. Il serait donc préférable de ne pas poursuivre la lecture de cette critique si vous ne l'avez pas vu, tant les films de l'hispanico-chilien se limitent à des jeux de pistes (quoique un peu moins, cette fois) qui perdent tout intérêt lorsqu'on en connaît la réalité, par manque criant d'une épaisseur véritable. Pourtant, les défauts agaçants d'Amenábar se prêtent étonnement bien à l'histoire qu'il met ici en scène, au point d'en devenir d'involontaires qualités. Ce que je reproche à son cinéma tient à des erreurs simples mais grossières et répétées : une sorte d'hystérie narrative qui multiplie les twists quitte à les rendre anodins, une mise en boîte lourdement symbolique et appuyée, ainsi que de nombreuses entorses à la cohérence et à la vraisemblance dans la gestion des traits de la psychologie humaine qu'il utilise pour embrouiller ses scénarios (le rêve et le souvenir, notamment). Ici, cependant, Amenábar ne raconte qu'une histoire de folie et de délire général, s'intéressant au phénomène de régression, méthode anciennement utilisée par la psychologie pour réveiller des souvenirs enfouis par des traumas ou un déni chez certains témoins potentiels, et qui s'avérait falsificatrice dans la mesure où elle conduisait davantage les sujets à créer des souvenirs fictifs qu'à déterrer ceux qu'ils (se) cachaient. Il n'y a donc rien de bien choquant à voir le film s'offrir des séquences de flash-backs bordéliques et parfois contraires aux règles humaines et biologiques qui régissent notre mémoire et notre psyché : quand tout ce qui est raconté baigne dans un grand bain où flottent tant la paranoïa que des penchants manipulateurs ou mythomanes, le manque de rigueur ne dépareille pas et surligne bien le mensonge caché derrière chaque semblant de vérité. Même si je doute que ce soit volontaire, étant donné qu'Amenábar répète les mêmes tours à chacun de ses films sans but artistique particulier, cette manipulation constante et pas toujours cohérente s'adapte donc plutôt bien à ce récit inspiré de faits réels où régnaient aussi l'invention, le chaos et la fragilité humaine quant à sa distinction de la réalité des boniments purs et simples. Maintenant, il manque quand même à Regression une petite touche caustique pour gagner un peu en recul. Amenábar préfère croire dur comme fer à la perméabilité de l'esprit face à la possible existence d'un Mal absolu, concluant par un carton qui rappelle les faits réels à l'origine de l'histoire et semblant confirmer qu'il croit bel et bien à l'emprise réelle que peut avoir ce genre d'idées sur un esprit en proie à la peur. M'est plutôt avis, pour ma part, qu'une bonne part des gens à l'origine des vagues de panique qui ont vraiment secoué les Etats-Unis n'étaient que de simples fabulateurs en recherche d'attention, et que derrière ces grandes idées de terreur, de rédemption ou de damnation, se cachent des traits plus triviaux, faiblement humains dont il aurait été plus correct de laisser entrevoir la nature réelle par un traitement un peu plus pathétique, un peu moins sérieux. L'ambiance du long-métrage, de bout en bout engoncée dans des canons du genre, aurait gagné à balancer davantage entre démence baroque et naturalisme, pour souligner la crédulité d'un esprit humain qui ne se rend pas maître de ses pulsions. En l'état, l'ambiance à la limite du cliché sert plutôt un message faussement blasé (le mal n'existe qu'en nous, mais il existe quand même) qui n'a franchement rien de percutant et retombe comme un soufflé. Reste quand même que l'atmosphère et sa symbolique très lisible sont eux-aussi pardonnables dans une vision meta, parce qu'ils donnent l'impression de signes grossiers que les personnages ont sous les yeux et qu'ils demeurent pourtant incapables de lire. Bref, peut-être que j'aime ce Regression pour de mauvaises raisons, parce que les sempiternels choix d'un réalisateur que j'estime très limité s'accordent plus ou moins par chance avec son propos et son mouvement. Reste que je l'aime bien quand même, et qu'Emma Watson est parfaite pour son rôle. Agréable bien que loin d'être marquant.