Alejandro Amenábar est un cinéaste extrêmement talentueux mais qui, en presque 20 ans de carrière, n’a offert que très peu de films. C’est la filmographie typique qui préfère la qualité à la quantité, ayant déjà offert de grands films devenus cultes à l’image de Tesis, Abre los ojos ou encore The Others. Suite à une pause de 6 ans, il marque son retour aux thrillers, après avoir offert le puissant drame Mar adentro et l’intense film historique Agora. Autant dire que ce retour est diablement attendu par les cinéphiles et les fans du cinéaste tandis qu’il offre de belles promesses de série B sympathiques aux spectateurs lambda. Des promesses qui font quand même craindre à un Amenábar en mode mineur et qui semble déjà attiser les déceptions. Regression est-il donc le premier faux pas de la carrière d’Amenábar ? Comme souvent chez le cinéaste, l’intrigue débute sur des clichés. Ici avec le flic chevronné qui est prêt à tout pour découvrir la vérité, ses collègues réticents qui ne le croient pas totalement et tentent de lui mettre des bâtons dans les roues, les rednecks crasseux aux pratiques douteuses qui tendent aux satanismes etc. Au début du récit on peut aisément penser que tout est joué mais, comme à son habitude, le cinéaste va s’amuser avec la perception du spectateur et de ses personnages pour brouiller les pistes et lancer de nouvelles théories, s’éloignant la plupart du temps des clichés du genre. Le scénario arrive vraiment à instaurer un sentiment d’insécurité et même si certains trouveront le dénouement prévisible, c’est surtout le déroulement qui se montre stimulant dans sa manière d’altérer le réel et d’instaurer le fantastique dans sa définition la plus pure. A tel point que l’on commence à remettre en cause ce que l’on voit, entrant dans le même état paranoïaque que le personnage. La maîtrise qu’exerce Amenábar sur son histoire est impressionnante, ne laissant rien au hasard et soignant chaque détails, même ceux qui peuvent paraître insignifiants. Comme le dis l’adage « Le diable est dans les détails », il s’avère que le cinéaste a créé un diable fascinant de malice et de perversité. L’oeuvre s’impose dans la continuité parfaite des thématiques de sa filmographie, interrogeant les limites et les dangers de la croyance. Ici la religion et la psychologie ne sont que des représentants de l’obscurantisme, l’un par pur ignorance et de peur de la vérité tandis que l’autre par excès de réflexions préférant faire de la simplicité un monde complexe. Au final, la croyance se doit d’être individuel car sinon elle entraîne le fanatisme et la paranoïa collective, pouvant avoir des répercussions hors normes. Ici le cinéaste préfère le savoir et le pragmatisme qu’à la croyance supérieur brossant un récit ambitieux et complexe, loin de tout manichéisme, exposant la monstruosité et la beauté humaine en chacun de nous et en faisant une réflexion habile des travers de ce monde, qui se révèlent être intemporelles et universelles. Tout ça prend forme dans une très belle conclusion à une intrigue un brin didactique, Amenábar ayant peut être un peu plus de mal à y injecter du sang frais, faisant de Regression un film moins fort et original que ce qu’il a l’habitude de faire mais en aucun cas moins intelligent ou maîtrisé. Le casting est dominé par le toujours excellent Ethan Hawke, qui offre une prestation impliquée et fiévreuse dont il a le secret, rappelant par la même occasion qu’il est un des meilleurs acteurs de sa génération mais aussi un des plus sous-exploités au cinéma. Il est accompagné d’acteurs impeccables qui donnent le meilleur d’eux-mêmes comme David Thewlis qui apporte un peu de dérision grâce à son jeu décomplexé, mais aussi juste et très intense. On aurait par contre pu croire qu’Emma Watson ait un temps de présence à l’écran plus conséquent mais, malgré ça, elle expose tout l’étendue dans son talent dans le personnage le plus complexe du film. Elle livre pour la première fois une interprétation plus nuancée et plus profonde que ce à quoi elle nous a habitués. Probablement son meilleur rôle à ce jour. Elle partage aussi une très bonne alchimie avec Ethan Hawke donnant du poids à l’enquête et de la crédibilité à leurs interactions, elles sont assez rares mais vraiment prenantes. La mise en scène d’Alejandro Amenábar se fait plus maniérée que ce à quoi il nous avait habitué par le passé, se rapprochant de la série B de luxe. Cependant, il distille tout le long du récit de très bonnes idées de mise en scène comme les vues subjectives qui permettent d’accentuer l’oppression des personnages, l’ensemble préférant avant tout miser sur l’instauration d’une ambiance paranoïaque et fiévreuse que sur la facilité des artifices de terreurs comme les jumpscares. Le film ayant aussi l’intelligence de ne pas tomber dans la gratuité, laissant les détails les plus glauques à l’imagination du spectateur, misant la carte de l’implicite plutôt que de bêtement montrer la violence et tomber dans le sensationnalisme. Cette suggestion passe par une utilisation astucieuse de différentes focales, qui lors de certains moments trouble la perception visuelle appuyant sur le côté ésotérique des scènes, offrant de manières fugaces des images déformées et terrifiantes qui imprègne la rétine et alimente l’imagination. On a aussi une réalisation technique abouti avec une photographie léchée qui joue de manière habile avec les couleurs, un montage impeccablement rythmé qui instaure de la tension tout du long et une composition musicale tendu et enivrante. En conclusion Regression est un un très bon film mais assurément un des Amenábar les moins réussis. Pourtant même si on peut être déçu de ce retour « mineur », on ne peut nullement faire la fine bouche devant cette oeuvre ambitieuse, maîtrisée et diablement intelligente qui arrive à être à la fois une série B grandiose au-dessus de la production cinématographique actuelle, mais aussi un film d’auteur abouti et complexe. Il s’impose même comme un excellent point d’entré à la filmographie du cinéaste pour les néophytes et comme une continuation pertinente des thématiques passés de celui-ci. Il saura donc contenté tout le monde à condition que l’on n’espère pas une révolution à tous les niveaux. Car le bashing autour du film ne se base que sur des attentes rigoureuses et impossibles à combler d’un public toujours plus intransigeant et qui ne laisse aucune place à autres choses que ces propres attentes. Ici Amenábar a préféré jouer la sûreté pour son retour en misant sur la maîtrise plutôt que sur la grandiloquence, ce qui s’accorde parfaitement avec son propos, qui est à la fois juste et terrifiant. Un très bon moment de cinéma, ni plus ni moins.