Emmanuelle Bercot ne cesse de nous étonner. Depuis ses premiers pas au cinéma, elle nous a fasciné, parfois irrité, mais sa sincérité a toujours été reconnue comme sa qualité première. A quoi s'ajoute une extraordinaire force de persuasion due à un primat de l'hypersensibilité sur toute forme de discours. Elle n'a pas son - ou sa - pareil(le) pour montrer le désarroi, le mal être poussé à l'extrême, le cri des nerfs et la crise qui s'ensuit. Ici nous assistons au parcours on ne peut plus tourmenté et chaotique d'un jeune garçon, Malony, qui, de huit à dix-huit ans, va rencontrer l'enfer au quotidien : remis par sa mère entre les mains d'une juge pour enfants (Catherine Deneuve), il va être ballotté de centre éducatif renforcé en centre éducatif fermé en passant par la prison, où il va faire l'expérience de l'internement parfois agressif et violent, parfois supportable grâce à des éducateurs modèles. C'est qu'il est difficile d'être le fils d'une mère immature qui se voit débordée par un rôle qu'elle choisit d'abandonner. Sara Forestier interprète à merveille le rôle de cette femme-enfant qui voit en son gosse un boulet avant de le choyer tel un potentiel amant. Quant à l'éducateur au grand cœur, c'est Benoît Magimel qui l'incarne, très à l'aise dans l'interprétation de ce personnage lui aussi en proie à des angoisses et qui de ce fait est plus à même de comprendre cet ado paumé dont il a la charge et qui n'a que les insultes et les poings pour se donner un semblant d'existence. Enfin la grande Catherine est là, admirable comme toujours et cependant mesurée et profondément humaine dans ce rôle si ancré dans le quotidien. Mais la véritable révélation du film est cette boule de nerfs, Rod Paradot, assez proche de Thomas Doret dans "Le gamin au vélo" des frères Dardenne et bien entendu du jeune Jean-Pierre Léaud des "400 coups". Même adolescence meurtrie, mêmes attitudes nerveuses et révoltées, et pourtant ce qui fait la grande différence, c'est le langage du jeune Malony. Ici les injures pleuvent, les grossièretés permanentes sont une manière d'exister. C'est que Malony ne connaît pas les mots ou du moins leur richesse, qu'il ne peut de ce fait mettre un mot sur ses émotions, sur les motifs de sa révolte et qu'il se contentera de balancer à la face d'autrui les ordures verbales qui font son quotidien. La naissance de l'amour dans le cœur de ce sauvageon constituera du reste un tournant essentiel dans son histoire. Sans doute sera-ce l'occasion d'une renaissance, mais nous n'en dirons pas plus : il faut découvrir ce film, d'une grande beauté et d'une profonde humanité, il faut accepter les claques que lance à ses spectateurs ce film nerveux et sans concession. Plus grande alors sera l'émotion qui nous fait découvrir à la fin que cette œuvre est, contrairement à toute attente, d'un profond optimisme.