Et bien je suis allé voir ce film avec un bon pressentiment, très étonnant de ma part pour un film français. Ayant appris après-coup que c'était un film adapté d'un livre, pas le suspense : je déconseille le film à tous ceux qui auraient lu le bouquin -même si ce n'est pas mon cas- car je suis persuadé qu'il n'aura pour eux strictement aucun intérêt.
Ca démarre comme assez souvent aujourd'hui par une fausse piste où l'on croit qu'on va suivre la mère tout du long et bien non, "bravo monsieur le réalisateur, tu nous as bien eu". Parce qu'en une phrase, c'est l'histoire d'un quarantenaire nomade qui vit en autarcie et dont la femme en a marre d'être hippie et se barre, sauf qu'elle veut et obtient la garde les gosses, que lui veut pas et du coup il en amène deux avec lui pour les élever en lien avec la nature et est recherché par la police.
Avant de savoir que c'était tiré d'un livre, j'étais surpris des scènes choisies pour représenter cette "vie sauvage" : surpris car elles ne sont pas clichées, on sent un certain vécu et que Kahn est un bobo qui n'a certainement jamais vu une grange de sa vie ; bien sûr ces idées très naturelles ont été piochées et enlèvent le peu de mérite que je donnais jusque là au réalisateur. Autre qualité louée puis annihilée, le fait de faire grandir et vieillir ses protagonistes : c'est assez dur, et Kechiche dans "La Vie d'Adèle" ne sachant pas le faire avait supprimé la jeunesse des filles; là au moins c'est fait, ce n'est pas raté et ça fait du bien.
Le plus grand intérêt du film (et qui pourtant n'est un sujet que survolé), c'est de montrer la transformation et la différence qu'il y a entre l'une des anciennes et la nouvelle génération marginale qui semble le plus proche de lui succéder, les hippies des 70's et les teufeurs, et de ce qui les rapproche et les éloigne. En voilà un sujet à aborder et a creuser ! Mais bon, c'est Cédric Kahn le réa. Lui il n'y connait rien au sujet de son film, il suit le livre et il ne va pas essayer de s'en écarter. Alors on continue la diatribe répétitive inhérente à ces bourgeois bohèmes qui font des films où ils crachent sur la fatalité de la vilaine société… Là-dessus pas de demi-mesure : dès qu'elle est présente à l'horizon on entends le mot "loi" ou "prison" dans chaque phrase, bref c'est le méchant du film.
Pour ce qui est de la réalisation pure, actuellement la mode du cinéma français (même si oui, dans le cinéma français les modes durent une dizaine d'années...), c'est de sublimer des "moments du quotidiens, d'en extraire le charme, la beauté". Mais il y a quand même des moments de tensions et de doute pour donner un peu de rythme au film... Et ce qui est de génial avec un film en plein air, c'est qu'il suffit d'utiliser la météo : allez hop, on met un grand soleil quand on veut que ça soit gai, un déluge quand c'est un moment triste et voilà le boulot ! Et ça va bien au-delà de ça, au point que même quand ils ramassent du purin ou qu'ils déplument un poulet, on ressent qu'il s'agit du bonheur à l'état pur.
Par contre pour la fin, hum !.. Je ne vais rien raconter, juste que c'est une fin ouverte, mais il aurait pu se secouer un minimum ! Alors oui, quand on adapte un livre c'est plus dur mais qu'il rende ça présentable, Lartigau dans "L'Homme qui voulait vivre sa vie" le fait de manière assez fine... Non là c'est BAM ! Ecran noir. BAM ! Le Titre. Et le gros "Oooooh..." de déception dans la salle qui va avec. Ca laisse le soin à qui voudra de remplir les espaces vides, ce qu'il faut lire dans ces "instants capturés" qui s'enchaînent tout du long pour faire découvrir aux bobos la traite d'une chèvre, trois poulets et la chaleur des chansons au coin du feu, dans un paysage bucolique aussi idéalisé qu'une pub pour le beurre breton ou le fromage basque.
Certains sauront donc sûrement combler les vides béants laissés par ce film (dans une certaine mesure tout de même) par une certaine curiosité et parce qu'on a quand même envie de connaître la fin... Les autres qui espéraient que le souffle vienne du film - bref les cons qui espéraient avoir affaire à une véritable démarche de cinéaste ! - ceux là feraient bien mieux de se fier au livre...
Mais on ne m'ôtera pas de l'idée que ce film est l'histoire d'un réalisateur qui a lu un livre, qui s'est dit "Ah, dommage que c'est pas un livre plus lu, allez, j'en ferais bien un film" sans rien apporter à l'oeuvre originelle, juste en essayant de la compresser dans 1h30. Du coup il y a un gros mou pendant une bonne partie du film (le mou typiquement français du film tiré d'une oeuvre -parce qu'en France il est de très mauvais ton de S'INSPIRER d'une oeuvre- ), mais qui ne dérange pas tellement, comme si on était devant Motus. Mais c'est de toute manière mieux comme ça : plus Cédric Kahn est discret dans la réalisation, moins pire c'est.