Après un longue saison d’abstinence cinématographique non contrainte, je redécouvre cette semaine le vertige des salles obscures avec entrain. Un film, ou plus particulièrement le nom de ce film, ainsi qu'une suite de coïncidences m'amènent donc à traverser Bordeaux dans le froid et l'humidité de rigueur pour retrouver l'excitation oubliée de la moquette rouge, des bornes "Illimitées", du parfum des confiseries industrielles réchauffées et de l'odeur des gens assis qui plane dans la salle où ils attendent le début de l'histoire qu'ils ont choisis d'apprécier ce soir là.
Jusqu'ici, tout n'est qu'entrain et je me sens bien dans ce fauteuil sale, prêt à jouir avec mes confrères du bonheur simple qui va nous être prodiguer pendant une heure et demie. Puis la lumière s’éteint. Les derniers chuchotements cessent et le silence se fait. Alors, l'écran s’anime, et en un éclair, le ton est donné. Gris, maussade. Une actrice permanentée et grimaçante entourée de bambins frisés angéliques qui courent sous les PARs HMI et la fausse pluie derrière une voiture pourrave, empaqueté au travers de filtres couleur de plomb. Le tableau est maussade, incarnation du pathos sous toutes ces formes. Pathétique de la mise en scène, du jeu, des couleurs, de la production, de l'équipe son, du scénario, de la loge HMC. Pathétique du résultat, pathétique de notre situation. A-t-on envie de se coltiner un navet écolo-concensuel d'une heure et demie? Un temps. Un temps plus long, un peu plus long. C'est oui, parce qu'on est bon joueur, et qu'on peut être parfois surpris.
Le film donne d’ailleurs assez vite des arguments pour se défendre. Après tout, dans une situation pathétique, quid d'un excès de pathos? Ce peu être après tout, une figure de style. On apprécie donc une course poursuite musclée bien filmée, des images de nature, le train, des mouvements, une certaine forme de réalisme, toujours contre-balancés par quelques champs-contre-champs vulgaires, des incohérences grotesques comme par exemple une lampe à pétrole électrifiée dans une caravane au milieu d'un champs - réveillez-vous chefs déco! Tweeter et Paris intramuros c'est fun, mais allez faire du camping avec une lampe à pétrole au lieu d'une petzl la prochaine fois que vous faite un film roots! NDLR. Assez vite le filme installe un mouvement pendulaire, tantôt maladroit et grossier, presque malsain, tantôt plein de bonne volonté, d'un réalisme touchant et d'une énergie vitale assez forte. Outre Céline Sallette mal incarnée dans un rôle où Sandrine Kiberlain aurait fait des miracles - c'est pour dire - et les deux mioches qui en révèlent plus sur l'identité de la directrice de casting que sur les personnages, les acteurs principaux sont bons et Mathieu Cassovitz est plutôt juste. Le jeune au cheveux long m'a frappé, d’autant que les scènes de l’adolescence se révèlent à mes yeux les moments les plus intenses.
Au final j'allais presque me laisser attendrir par ce récit maladroit et oublier le jugement foudroyant proféré quelques 100 minutes auparavant, si, car il y a un "mais", l'écran, oui, toujours lui, pour une raison incompréhensible, n’eut point coupé net le lien qui me rattachait aux acteurs, et par là même, à l'histoire. VIE SAUVAGE. Noir. Générique. Ce qui avait commencé comme une scène intermédiaire du film s'était transformé en un-vingt-cinquième de seconde en une cauchemardesque "happy end" à la française, c'est à dire aussi grise que celle qui en constituait le frontispice. La bouche pâteuse, je restait sur ma faim. Quel était le ressort de ce scénario si ce n'est celui d'entretenir un doute puis de révéler les raisons qui poussèrent la mère à quitter son mari avec ses deux enfants et à abandonner leurs mode de vie?
C'est la seule question qui aurait du être importante dans cette histoire et le réalisateur nous abandonne avant d'avoir pu nous donner sa - où à défaut une - réponse. Alors oui, Céline nous dit bien qu'elle en a eu "marre de la boue", elle serait donc partie sur un coup de tête. Mais si le film s’arrête sur cette explication, c'est tout son propos et ses promesses qui s'effondrent, car oui, il y avait dans ce titre et dans le synopsis une promesse. Imagineriez-vous un instant quitter votre amant, votre maison, votre terrain, votre mode de vie, tout ce qui vous appartient et qui vous constitue, sur un coup de tête? "Parce que la boue".. NON! Invraisemblable, sauf pour ceux qui croient peut être que les "immigrés" quittent leur pays par plaisir - c'est un autre débat. On imagine, on désire un rebond PRODIGIEUX, une histoire de VIOLENCE, de FOLIE, un DRAME familial. Rien. De si jolis mots: VIE, SAUVAGE, ne sont aux yeux de Cédric Kahn et son équipe, et au plus grand damne de ses spectateurs, qu'une enveloppe vide et déprimante, lourde comme le métal dans lequel elle a été forgée des les premières secondes aussi maladroitement.
S'il te plais Cédric, s'il vous plais jeunes réalisateurs, au noms de vos convictions écolo-bobo de la classe moyenne, qui sont par ailleurs tout à fait louables et légitimes, ne nous infligez pas cette longue série de navets sur la nature et la liberté, vague suite à ce que la société à fait de pire au mouvement hippie - "Hair" - dont "Tom à la ferme" ferait parti des pionniers et que ce dernier chef-d’œuvre viendrait compléter. N'aillons pas honte de parler de ce que vous/nous connaissons, même ci ce ne sont pour la plus part de nous que des villes, la Ville et la vie dans une société post-bourgoise. Si vous voulez militer, militez, mais ne videz pas le sens de mots fragiles et puissants, ne réduisez pas la campagne à la grisaille et à la pauvreté, ne parlez de liberté qu'à la manière dont vous l'avez connue, au risque de passer pour des bons à rien ou des opportunistes consensuels.