Un rêveur inadapté au monde qui l’entoure mais qui s’en sort justement parce que ses rêves sont plus grands que la vie : il y avait là tout ce qu’il faut pour fasciner Robert Zemeckis, qui fut durant une dizaine d’année, de 1985 à 1995, le seul véritable rival de Steven Spielberg en terme d’entertainment global, avant d’entamer une seconde partie de carrière centrée sur l’expérimentation visuelle et des coups de coeur pour des sujets atypiques. D’autant plus que ce rêveur existe et a déjà eu un documentaire à sa gloire: son nom est Mark Hogancamp, c’est un artiste qui fut victime d’une agression brutale voici une vingtaine d’années, qui le laissa amnésique et psychologiquement fragilisé. Privé de ses souvenirs, de sa personnalité et des compétences qu’il possédait, Hogancamp se réfugia dans un monde imaginaire fantasmé, dont il a tiré des moyens de subsistance : petit à petit, il a bâti Marwen, un village belge (?) miniature de la seconde guerre mondiale où, sous les traits d’un impétueux soldat entouré d’une escouade de pétroleuses, il lutte contre des nazis sadiques et vit des romances torrides. A l’écran, on saute ainsi en permanence du monde réel, dans lequel Hogancamp joue son rôle de démiurge-photographe du village des poupées à ce qui se déroule virtuellement au sein de ce dernier, dans lequel toutes les figures familières du cercle relationnel (restreint) de Hogancamp cohabitent en motion-capture, au service de péripéties infantiles dont l’avatar de cet homme timide et diminué est le héros aux mâchoires serrées : l’intérêt de la chose consiste à observer et comprendre de quelle manière les éléments réels nourrissent le fonctionnement d’un monde miniature qui, à son tour, contamine le réel. Qu’il s’agisse de la mauvaise interprétation que Hogancamp fait de la bienveillance de certaines femmes à son égard, des hommes dont il redoute la violence et qu’il lui est vital de vaincre en simulacre ou de son accoutumance aux antidépresseurs qui s’incarne sous la forme d’une fée malveillante qui contrecarre systématiquement les aspirations du héros, ‘Bienvenue à Marwen’ est, sous des dehors bonhommes et ludiques et malgré sa fantaisie apparente et son happy-end en bonne et due forme, un film d’une évidente noirceur, dédié à une impossible résilience, et aux stratégies d’esquive mises en place pour survivre à un choc post-traumatique : la manière atypique dont Hogancamp a choisi de domestiquer ses névroses aura permis l’éclosion d’un des films les plus intrigants qui soient sur la question, même s’il est loin de creuser le sujet à fond et succombe fréquemment à certaines facilités narratives...ce qui ne lui a pas porté chance puisqu’à mêler pathologie, imagerie militaire, régression enfantine et pulsions sexuelles adultes, le film n’a pas manqué de mettre mal à l’aise le public américain, qui lui a accordé un accueil pour le moins glacial….