Avec son acolyte Efthimis Filippou, le réalisateur grec Yorgos Lanthimos a le chic pour proposer des scénarios qui sortent de l’ordinaire. Après "Canine", et la façon très particulière qu’ont un père et une mère d’élever leurs enfants (Prix Un Certain Regard 2009), après "Alps", sur un groupe de personnages qui remplacent les morts dans les familles afin que le deuil soit mieux accepté (Prix du scénario à Venise 2011), les voici qui s’attaquent, à leur manière, à l’amour, au couple, aux conformismes de la société et glanent, au passage, le Prix du Jury au Festival de Cannes 2015. Yorgos Lanthimos a beau prétendre ne pas avoir voulu faire un film à message, d’avoir seulement cherché à soulever des questions, on ne peut s’empêcher de voir dans "The Lobster" une charge contre le conformisme, ou plutôt, les conformismes, tous les conformismes. Et, en passant, une charge aussi contre toute forme de communautarisme ! Lorsque David s’échappe de l’hôtel où, sous la férule d’une femme tyrannique, des règles très strictes et très souvent absurdes doivent impérativement être suivies, où tout comportement un tant soit peu déviant déviant par rapport à ces règles est condamné, où la demi mesure n’a pas droit de cité (A l’arrivée dans cet hôtel, on doit se déclarer hétéro ou homo, la bisexualité n’est pas acceptée. Quant aux chaussures, les demi pointures sont inconnues), il est persuadé d’avoir retrouvé la liberté et, à sa grande surprise, il se retrouve dans un groupe, celui des solitaires, qui vit sous la férule d’une femme tout aussi tyrannique que la première, un groupe qui se doit de suivre d’autres règles, le plus souvent aux antipodes de celles de l’hôtel, mais tout aussi absurdes. Le regard que porte Yorgos Lanthimos sur ces deux mondes antagonistes est le plus souvent très drôle tout en générant presque constamment un sentiment de malaise chez les spectateurs. Coproduit par un grand nombre de pays, interprété presque tout du long en anglais, "The Lobster" réunit une distribution internationale d’où se détache Colin Farrell, qui interprète avec brio le rôle de David et qu’on peine à reconnaître avec sa moustache et son petit bedon. A ses côtés, on trouve, entre autres, Rachel Weisz, comme toujours parfaite, Léa Seydoux, meilleure que d’habitude, Jessica Barden, John C. Reilly et Ariane Labed, l’épouse du réalisateur. Dans ce film dont l’image est le plus souvent assez terne, la musique joue un rôle important, majoritairement à base de quatuors à cordes, de Beethoven, Stravinsky, Chostakovitch, etc. On est surpris d’entendre Colin Farrell fredonner « Where the Wild Roses Grow » de Nick Cave et d’entendre, pendant le générique de fin, Sophia Loren interpréter « S’Agapo », tiré du film Ombres sous le mer, en duo avec Tonis Maroudas.