Yórgos Lánthimos est un cinéaste brillant et radical mais assez peu connu qui arrive à étudier les dérèglements de notre monde avec une intelligence et une justesse admirable. Dans Canine, un de ses précédents films et chef d'oeuvre absolu, il filmait avec une froideur terrible l'étouffant cocon familiale avec tout ce qu'il comporte de malsain dans sa politique surprotectrice. Un film indiscutablement personnel et dérangeant qui faisant néanmoins écho dans chacun de nous s'imposant comme une oeuvre terriblement pertinente mais qui ne connut pas la notoriété qu'elle aurait méritée. Néanmoins il retourne au Festival de Cannes avec son nouveau film mais cette fois-ci en compétition officielle, Canine ayant été dans la catégorie Un Certain Regard en 2009, et gagna le Prix du Jury, ce qui lui attira une certaine notoriété. Avec ce nouveau film, Lánthimos se fait plus accessible pour le public sans pour autant perdre sa radicalité, il offre une oeuvre qui lui appartient complètement mélange d'absurde loufoque qui prête à rire mais qui aussi traduit l'horreur d'un quotidien. On rit beaucoup devant ses situations improbables, ses réactions dégénérés et ses règles qui n'ont pas de sens car la réalité de l'oeuvre s'entrechoque constamment avec la nôtre et l'hilarité prend le dessus mais c'est souvent un rire jaune et malaisant. Car ici quant Lánthimos étudie les mécaniques de nos relations, de nos vies de couples et s'intéressent à leurs pourquoi, il ne déformera pas la réalité, il va nous l'offrir dans sa forme la plus pur attirant notre attention sur la vacuité de celle-ci et surtout sur l'absurdité de nos sentiments et le vide de nos existences. C'est notre réalité qui devient déformée car on tente à tout prix et vainement de lui donner un sens alors qu'il n'y en as aucun. C'est donc un film déprimé et très juste qui nous posent à nous interroger sur nous-même et sur ce que l'on tente d'accomplir en trouvant notre "moitié" et personnellement je partage totalement les réflexions de l'oeuvre qui font écho avec mon être le plus profond ce qui en déclencha mon amour le plus profond à son égard. Ce qui est totalement paradoxale car c'est ce que le film va dénoncer, on aime une personne ou même une chose pour ce qu'elle évoque par rapport à nous. On l'aime car elle à les mêmes centres d'intérêts que nous, une même particularité, le même humour et etc. On ne l'aime pas pour qui elle est mais on l'aime pour l'image qu'elle nous renvoi de nous-même, on l'aime car elle possède une part de nous. Ici tout le monde recherche une personne à laquelle elle peut s'identifier, un homme qui boite recherche une femme qui boite, un myope recherche une myope et etc. Créant des relations factices dénuée de réels sentiments et surtout dénuée de connaissances de l'autre. Chaque questions que deux personnes se posent pour se draguer sont impersonnelles et superficiels. Mais ici Lánthimos ne se contente pas juste de montrer la réalité des couples, il fait une critique de la société en général, tout le monde en prend pour ses grades comme les solitaires qui se complaisent dans leurs formes d’élitismes ou même de la société de consommations en générales qui "force" les gens à se mettre en couple au point de les exclure si ce n'est pas le cas. On est donc face à un récit très dense qui n'hésite pas aller très loin dans son étude des dérèglements du monde faisant souvent preuve de beaucoup d'imagination et d'ingéniosité soignant les moindres détails. C'est d'autant plus prodigieux que l'ensemble se révélant très dense et que le cinéaste ne perd jamais la maîtrise sur son histoire. L'intrigue est divisée en deux parties, une qui sera plus sociétaire et l'autre plus dans le cadre de l'intime, qui se répondent à merveille et qui sont toutes deux passionnantes malgré un cassure un peu brut qui pourrait surprendre de prime abord. Mais tout ça s'entremêle avec harmonie et cohérence pour nous mener à une conclusion terrible et brillante qui pose les bonnes questions avec une subtilité incroyable. D'ailleurs le film utilise beaucoup de symbolique pour faire comprendre son propos comme lorsqu'il utilise la myopie de son personnage, il ne voit pas très loin de manière littérale et métaphorique. Cela résume l'aspect des relations humaines, on regarde en surface mais en s'intéressant que très peu à la profondeur. Et Lánthimos pose la question de savoir ce qui se passe que lorsque ce qui nous intéresse en surface disparaît brusquement. Serons-nous toujours capable d'aimer l'autre ? Où aimions-nous juste ce qui nous rapprochais d'elle ? Devons-nous recréer une connexion ? A quel prix ? Et surtout, pourquoi ? Au final c'est les questions que l'on se posera et pourtant elles sont dérisoires, le propos nous le démontre bien, on cherche à créer un point commun avec l'autre pour aimer ce point commun et non l'autre personne. Les seules questions que devrait se poser les personnages, celles qui comptent vraiment, ils ne se les posent pas et de se simple constat l'oeuvre pose beaucoup de vérités. Car est ce que l'on aime vraiment l'autre ? Si c'était le cas on accepterais ces différences et apprendrais à la connaitre plutôt que tenter désespérément de créer des connexions factices pour trouver une raison de rester ensemble. Le film nous laissant de manière habile et radicale sur ce constat amer et anti-romantique. Ici Lánthimos s'entoure d'un casting reconnu, ce qui devrait aider à son cinéma à se faire connaitre surtout qu'il a choisi des acteurs charismatiques et talentueux. Colin Farrell se montre brillant dans une interprétation complexe entre sentiments refoulés, gaucherie et intensité tandis qu'il est soutenu d'une Rachel Weisz plus talentueuse que jamais et pleine de justesse. Le casting secondaire plus discret mais tous aussi impeccable comporte un Ben Whishaw succulent de froideur, John C. Reilly est ici discret mais toujours aussi excentrique et Léa Seydoux offre une interprétation monolithique et lugubre qui ne plaira pas à ses détracteurs mais qui s'inscrit parfaitement dans le ton du film. Celui-ci possède une réalisation aux petits oignons, la photographie joue habilement des couleurs ternes appuyant l'aura dépressif de l'oeuvre, le montage fait durer les scènes pour une impression de lenteur sans pour autant sacrifier le rythme et les musiques sont parfaitement choisis. Après la mise en scène de Yórgos Lánthimos peut laisser certains dubitatifs si ils ne sont pas amateurs de films d'auteurs dépressifs car on retrouve ici toute la grammaire de ce genre de cinéma. Une grammaire que le cinéaste maîtrise à la perfection et qu'il restitue avec ingéniosité et une beauté plastique indéniable à l'image des quelques séquences aux ralentis qui offrent des spectacles opératiques en décalages avec la brutalité des situations. En conclusion The Lobster est un chef d'oeuvre, s'imposant comme un des films les plus majestueux de l'année. On plonge tête la première pour une immersion intense et addictive dans un univers atypique qui n'est que l'interprétation littérale et pure du nôtre. Sous le regard de Yórgos Lánthimos on prend conscience de n'être que la farce tandis qu'il expose les dérives de notre monde et de notre humanité avec une justesse admirable. Tout est parfaitement écrit et maîtrisé sans en négliger la densité ni ce qui fait sa personnalité. Le cinéaste reste toujours aussi radical et dépressif offrant un film sans pareil et pourtant accessible, nous invitant sagement dans ce mélange d'absurdités vraies et de vacuités pertinentes pour un torrent incessant de paradoxes qui traduit à merveille ce qu'est la vie. Ajoutez à ça une casting exemplaire ainsi qu'une mise en scène parfaite si on sait l'apprécier et on obtient un immanquable et ce qui est probablement le meilleur film de l'année.