Dès le générique filmé à partir d'images magnifiques qui survolent les marais, l'on sait que l'on rentre dans un film proprement venimeux et troublant. Les images ressemblent en effet à des organes, des corps estropiés où l'on discerne au milieu des veines, des mouvements d'âme ou des battements de cœur. Justement, ce film raconte des corps de jeunes filles violées et torturées, des chairs arrachées, des entrailles nues sur une ile de nulle part, en pleine Espagne. L'action se situe dans les années 80, juste à la sortie du règne de Franco. La terreur perdure pourtant sur ces terres chaotiques, sans espoir, que tout le monde cherche à fuir pour un Eldorado du Nord plus attractif. Mais la dictature n'est pas loin, même si le procureur se plaît à asséner aux deux policiers qui mènent l'enquête qu'ils doivent désormais employer des moyens démocratiques pour trouver la vérité. La vérité est trouble et complexe. Elle charrie des anciennes trahisons, des relents de fascisme, et des peurs qui se taisent dans le silence des marécages. Les deux collègues échangent à peine sur l'enquête, comme s'ils étaient deux ennemis se méfiant l'un de l'autre. Chacun cherche dans son coin, chacun épie l'autre, et petit à petit, ils s'enfoncent dans ce monde glauque et austère où dominent prostitution, drogues et assassinats. La musique, lourde et discrète à la fois, accompagne cette fascinante plongée en enfer. Car le film génère chez les spectateur une forme de fascination tout à fait équivoque. On pense à un David Lynch modernisé, plus sombre et moins explicite. On ressent le désir, l'érotisme latents chez ces jeunes-filles, sources de malaise et d'ambiguïtés. Comme ce jeune-homme, juste très beau, à la puissance érogène et perverse, aux yeux d'un bleu vif, par qui le mal transite. Alberto Rodriguez n'a pas écrit une simple histoire policière, un polar banal, le vrai mystère se tient dans le cœur des hommes, dans les regards apeurés, et dans ces paysages somptueux, filmés à vue d'avion. La beauté dans ce qu'elle peut comporter de plus intense et de plus trouble, est le moteur principal du film. Le film nous emmène dans un univers épais et marécageux, qu'un vieux policier cynique et cruel, et un plus jeune, méfiant et maladroit, découvrent au même rythme que le spectateur, comme si la vérité se nichait bien plus dans les immondices du passé, que les grandes étendues d'eaux et de plaines, traversées par les oiseaux migrateurs.