Ce premier long-métrage de fiction de Sebastián Sepúlveda, inspiré d'un fait divers survenu dans le nord du Chili, peu après le coup d'État de Pinochet, offre plusieurs regards sur ce pays. D'abord un regard géographique sur la superbe région de l'Altiplano, désert de rocaille, de bois mort et d'herbe sèche, cerné par les Andes, magnifiquement photographié par le chef op' Inti Briones. Ensuite, un regard anthropologique sur quelques individus représentatifs de la population qui vivait dans cette région jusque dans les années 1970. Le réalisateur restitue, avec une attention très précise aux gestes du quotidien, aux rythmes réguliers des activités répétées, le mode de vie des soeurs Quispe, leurs traditions, leur liberté, mais aussi leur isolement qui va de pair avec des sentiments de solitude et de frustration (une féminité en souffrance pour l'une de soeurs). Enfin, un regard politique sur le régime liberticide et meurtrier instauré par le général Pinochet en 1973. Régime évoqué par un colporteur qui mentionne la nouvelle et absurde loi anti-érosion qui, sous couvert d'une protection des sols contre le pâturage des bêtes (!), vise à empêcher certaines populations de vivre isolément, loin du contrôle de l'État, ou de faciliter l'exil d'opposants politiques, comme c'est le cas dans le film pour le personnage interprété par Alfredo Castro, convoyé par deux des soeurs Quispe vers l'Argentine. Le réalisateur n'aborde jamais frontalement cette situation politique, mais elle est toujours en arrière-plan et conditionne tout le drame. C'est à la fois une toile de fond et une lame de fond aux conséquences dévastatrices. Dévastation intériorisée pour les soeurs Quispe, peu bavardes, qui assimilent ce changement politique à une négation de leur mode de vie, sans autre perspective possible.
En alliant une vraie science de l'évocation à un style âpre, brut voire brutal (dans le dénouement), Sebastián Sepúlveda a réussi un film minimaliste et fort. Il manque peut-être quelques développements pour étoffer ce voyage au bout de la solitude et du désespoir. Il y a aussi certainement un problème de casting : le personnage de Justa (interprété par Digna Quispe, une des nièces des vraies soeurs Quispe) paraît trop âgée par rapport aux deux autres personnages principaux, et trop différente physiquement. Mais ça n'enlève rien à la qualité de l'ensemble, à sa beauté tragique.