Oser un film après le succès phénoménal d'"Intouchable", qui plus est avec le même acteur vedette (Omar Sy) est en soi un acte de courage. Car au petit jeu - inévitable autant qu'absurde - des comparaisons, Toledano et Nakache avaient a priori tout à perdre et rien à gagner ... ni nous non plus d'ailleurs, sinon de se mettre par avance en condition d'être déçus ...
Pour rester dans le genre "cinéma populaire de qualité", succédant à l'immense réussite de "La grande vadrouille", on aurait pu voir "La folie des grandeurs" du même Gérard Oury comme un film médiocre ... ce qui dans l'absolu est une injustice que le temps a fini par réparer ...
Il faut donc aller voir Samba sans attente ni préjugé particuliers... ce qui n'est bien sûr pas facile ... mais la seule chance d'apprécier ce qui "est" et non ce qui "aurait pu être" ... voilà pour la minute de mise en pratique de l'aphorisme "il faut vivre l'instant présent" ... tarte à la crème post New Age si facile à pérorer, mais si difficile à mettre en pratique au quotidien ...
Pour moi c'est un peu plus facile à faire ... j'ai moins de mérite .... car j'oublie assez facilement ... :)
En allant voir "Samba" avec l'"esprit du débutant" (comme disait le maître zen Suzuki Roshi), on est tout simplement heureux de passer un très agréable moment. Ou on rit beaucoup, sur un sujet sensible, celui des conditions de vie des immigrés clandestins, sans qu'à aucun moment on ne tombe dans l'angélisme béat, la caricature, ni la lourdeur misérabiliste. Le système judiciaire français n'est pas "si inhumain" : Samba est relâché dans la nature après son séjour en centre de rétention - à sa propre grande surprise - non sans qu'on lui aie remis une très officielle "injonction de quitter le territoire" !... et les clandestins mentent comme des arracheurs de dent aux volontaires bénévoles qui essaient de les aider ...
Tant du côté des immigrés que de celui de ceux qui leur viennent en aide, le film propose des portraits nuancés, de personnages qui sont toujours drôles, parfois à leur insu, mais rayonnent tous d'une vitalité contagieuse. Même Charlotte Gainsbourg en cadre dépressive recyclée dans l'humanitaire a l'oeil frétillant (on la comprend) quand elle rencontre Samba (Omar Sy) ... et la formidable Hélène Vincent en dame patronnesse qu'on dirait un peu prude, s'éclate au cours d'une fiesta bien arrosée ... quant à l'irrésistible Omar Sy, qui prend pour l'occasion un - léger - accent africain, avec ses allure de grand diable à la lourde sensualité, pétillant d'intelligence et de sensibilité, il n'est pas non plus un personnage "tout blanc" (si on peut dire ...) ... ce qui finira par se retourner contre lui d'ailleurs ...
Certes le scénario est parfois peu crédible, un peu brouillon, et les situations sont parfois à la limite de la caricature ... mais çà marche ... on se laisse prendre ... on rit beaucoup, et jamais de façon malsaine ou racoleuse ... les personnages sont terriblement attachants ... bref ... un excellent film de divertissement ... qui n'a pas l'ambition de traiter en profondeur la question de l'immigration clandestine dans toute sa complexité ... mais qui a le mérite, à travers l'humour, la délicatesse, et l'excellence d'acteurs irrésistibles et engagés (Higelin, Rahim ...), de nous sensibiliser avec légèreté et l'air de rien à une question qui nous concerne tous ...
D'ailleurs, le film commence par un long plan-séquence remarquable qui nous fait passer dans un saisissant raccourci symbolique d'un monde de paillettes et de luxe à celui des nouveaux esclaves qui le servent (littéralement), avec toutes les strates sociales "intermédiaires" ... et qui pose d'emblée le contexte et la problématique du film de façon sérieuse, presque cruelle, en mettant le spectateur volontairement mal à l'aise ... évidemment (et heureusement), çà ne dure pas, car ce n'est pas l'angle choisi par les réalisateurs ... mais au bout du compte, on peut se demander si le succès populaire - mérité - du film n'est pas encore le meilleur antidote aux relents actuels de xénophobie et de racisme ... à l'heure du discrédit généralisé - et très regrettable - de la parole politique, le cinéma pourrait bien aussi jouer ce rôle là (la preuve ... mes parents ont adoré ... :))