C’est un véritable bijou qui déboule sur nos écrans ce mercredi et qui espère bien voir un accueil à la hauteur de son audace. Car tous les éléments sont réunis pour en faire un grand film: un casting vocal de classe (où se côtoient Jean Rochefort, Marion Cotillard, Olivier Gourmet, Marc-André Grondin ou Philippe Katerine), une ingéniosité à toute épreuve et le design incroyable de Jacques Tardi au service d’une histoire uchronique et diablement entraînante. Cristal du long métrage au Festival d’Annecy, Avril et le monde truqué était aussi au programme du dernier Festival International du Film Francophone de Namur. Où nous ne pouvions bien entendu pas le manquer. Comme certains attendent Star Wars; nous, c’était plutôt ce film que nous voulions voir au plus vite. Les attentes ne mentaient pas.
France, 1941. Encore un film de guerre, pour changer une fois. Enfin… quoique… non, ça n’en a pas l’air. Et si l’Histoire telle qu’elle a cours depuis septante ans avait connu un couac? Car en 1941, Paris n’est pas la Ville-Lumière que l’on connait. Elle est -comment dire? – différente. Peut-être est-ce du à cette double Tour Eiffel qui règne sur la capitale? Ou peut-être est-ce cette statue qui assoit la suprématie de l’Empereur Napoléon V? Et ce retard pénible qui semble entraîner Paris dans un autre temps. Le Monde entier semble lui aussi avoir suivi ce chemin du non-progrès technologique. Oui, il y a quelque chose qui cloche. Et pour cause, depuis septante ans, des centaines de savants de par le monde ont été enlevé. Le plus emblématique est sans doute Albert Einstein. Pas de Pasteur, non plus, ni même de Fleming. Avec tout ce que cela incombe: pas d’électricité, pas de télé mais une grande crise énergétique et le risque d’une guerre entre… Amérique du Nord et Europe. Dans un monde qui vit toujours à la vapeur et au charbon, au temps des dirigeables et d’une grisaille perpétuelle.
Et au milieu de tout ça, il y a Avril. Avril, l’orpheline dont les parents, eux aussi inventeurs, ont été enlevés. Avril se refuse à croire qu’ils sont morts et continue de chercher le sérum ultime sur lequel travaillaient ses parents et qui guérira son chat parlant, Darwin, cruellement malade. Entre deux chansons à cinq francs, voilà qu’Avril rencontre Julius, un gredin qui vend sa confiance au plus offrant mais qui va bien aider la jeune fille dans sa quête. Tandis que le commissaire Pizoni (auquel Bouli Lanners donne une voix encore hilarante), policier sans vergogne à la solde de l’Empereur n’aura de cesse de les en empêcher.
Avril et le Monde Truqué c’est un tour de force, une nouvelle rencontre au sommet entre deux vieux amis en la personne de Benjamin Legrand et Jacques Tardi (qui avaient signé Tueur de cafards, il y a trente ans) réunis par deux réalisateurs plus que prometteurs pour leur tout premier long-métrage (malgré des expériences de luxe, comme sur Persépolis). Benjamin Legrand a conçu l’histoire tandis que le papa d’Adèle Blanc-Sec (sans pour autant que ce soit une adaptation d’une de ses œuvres) lui a prêté corps et traits. Et quel trait! Car oui, osons dans ce monde de 3D parfois paradoxalement dépourvu de fond, quel plaisir que ces traits, ces dessins qui sentent le travail manuel comme autant de signes de vie d’un dessin animé qui ne peut être plus authentique que quand il est traditionnel. Plein en son cœur, quand sa magie touche le plus.
Et la forme de servir le fond et vice-versa, tant les idées des deux amis semblent faire force commune. Dans Avril et le Monde Truqué, il y aurait bien de quoi faire un parc d’attraction tant les trouvailles visuelles sautent aux yeux à chaque plan. Comme dans une BD, le spectacle est à la fois en avant-plan mais aussi dans les arrières-plans comme dans les cases d’une planche, dans un monde où Jules Vernes se serait promené dans le Paris d’Eugène Sue renforcé par la folie d’un Michel Gondry. Les inventions sont partout, dans le décor, les robots, les animaux espions. De quoi divertir pleinement.
Mais ce serait bien oublier une histoire qui brasse de multiple thèmes: la science à deux faces, la guerre, l’écologie consciente mais aussi celle qui est mal-placée. Dans ce bouillonnement, certes parfois un peu complexe, le spectateur n’est jamais lésé. Et les différents niveaux de compréhension feront adhérer autant les petits que les grands. Car Avril et le monde truqué est une incontestable réussite, avec les moyens de ses ambitions, une créativité hors-norme et un réel amour du cinéma comme de son public. Un film qui crée un précédent, superbe. L’un des meilleurs film d’animation français depuis l’an 2000.